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J’ai réalisé un terrain à Séoul en août et septembre 2018. Après m’être documenté sur l’histoire du christianisme en Corée et ses imbrications politiques, j’étais désireux de mener une enquête sur l’une de ses applications les plus engagées socialement.
Plusieurs études et reportages mentionnent que les réfugiés Nord-Coréens récemment arrivés au Sud déclarent être chrétiens, qu’ils ont rencontré des passeurs de cette même obédience, ou bien que le tissu associatif servant à faciliter leur insertion est souvent lié à une organisation religieuse. Ne pouvant aisément trouver d’étude qualitative sur ce sujet, j’en fis mon sujet d’étude.
Après m’être renseigné sur l’Internet et auprès d’individus capables de m’aiguillier, j’ai contacté des ONG répondant à quatre critères : l’ancienneté, la visibilité médiatique, l’existence d’un programme d’aide à l’insertion pour les Nord-Coréens, et le fait que l’appartenance religieuse constitue un critère de recrutement de leurs employés.
Mon enquête étant sociologique, les méthodes employées sur le terrain se devaient d’être l’entretien et l’observation. Ces dernières nécessitent du temps, une ressource souvent rare dans les ONG, voire plus généralement en Corée du Sud. Et quoi de plus intrusif qu’un sociologue s’il n’est un chien dans un jeu de quilles ? Il me fallait donc négocier ma présence.
Je me suis présenté en tant qu’étudiant désireux de mieux comprendre leur travail. Des ONG répondant aux critères précédemment évoqués m’ont dit refuser systématiquement les demandes relatives à une recherche en sciences sociales. Face à cet obstacle, j’ai décidé de me présenter également en tant que chrétien – alors que ce n’est pas le cas – en précisant que j’étais intéressé par la question de la foi religieuse et de sa transmission. Sans être convaincu d’agir correctement, montrer que « j’en étais » me semblait être une matoiserie nécessaire afin d’aborder certains sujets plus amplement. Finalement, il ne m’a pas été demandé de revenir dans le détail sur mon rapport à la religion, et j’ai senti que cela avait ôté certaines appréhensions.
Deux fondateurs d’ONG ont accepté de répondre à mes questions puis m’ont laissé m’entretenir avec certains employés. Grâce à l’un d’eux, j’ai été mis en contact avec une autre ONG dont les objectifs et méthodes de travail différaient radicalement des deux premières : une rencontre fortuite apportant plus de données et d’exhaustivité à mon enquête.
La négociation d’un temps de présence propice à un travail d’observation s’est avérée impossible à obtenir, autant pour des raisons pratiques que pour des précautions toutes naturelles sur mes intentions. C’est donc par le biais d’entretiens semi-directifs qu’il m’a été possible d’accéder au terrain. Ces derniers sont plus facilement acceptables car ils permettent aux interviewés de mieux maîtriser l’image qu’ils véhiculent, ce qui incite par la suite à penser à la question de l’instrumentalisation des chercheurs par leurs enquêtés. Les entretiens ont majoritairement été effectués à la suite de longues négociations, et mes conditions (une heure minimum d’entretien seul à seul) ont rarement été respectées. Il m’a également été impossible de m’entretenir suffisamment avec des réfugiés en raison de la barrière de la langue, du manque de disponibilité ou bien de réticences de la part des membres des ONG. En conséquence, le choix de porter l’enquête exclusivement sur les « prestataires » des ONG, plutôt que sur leurs « bénéficiaires », s’est décidé sur le terrain.
Le travail d’observation (comprenant des discussions non enregistrées) a été un complément nécessaire à l’interprétation des entretiens. J’ai pu effectuer quelques visites en m’adressant directement aux employés et en participant à certaines activités. L’un des principaux intérêts de ce travail fut de mieux comprendre la manière dont s’opère le prosélytisme dans ces ONG. Conscient de son potentiel à susciter des critiques extérieures ou bien des divergences internes, le sujet était difficilement abordable lors des entretiens.
J’ai tiré de cette expérience beaucoup de satisfactions. Il m’a été possible de rencontrer des personnes investies, qui malgré certaines prudences toutes naturelles, ont été accueillantes et bienveillantes. Lorsque l’on est de passage dans un groupe fermé, il est marquant de constater que notre ambivalence entre distance et proximité favorise certaines confidences.
Plus personnellement, ce travail d’enquête fut formateur. M’adapter à des situations inédites me conduisit à une certaine retenue, ainsi qu’à plusieurs maladresses de ma part. S’évertuer à les corriger permet d’obtenir des données qualitatives, mais aussi de solides repères au moment de se lancer à nouveau dans l’inconnu.
Un climat nationaliste et post-colonial très vivace au sein des milieux académiques sudcoréens a depuis longtemps projeté un regard mythifiant sur la Corée du ⅩⅧᵉ siècle. Il a forgé une image quasi utopique de cette époque qui se manifeste en particulier dans un parallèle par trop simpliste avec la Renaissance européenne. Pour le courant dominant de l’historiographie de l’art coréen, cette « renaissance » rime avec l’essor du réalisme pictural. Les peintures de Chŏng Sŏn (1676-1759), Kang Sehwang (1713-1781) et Kim Hongdo (1745-1801?) sont ainsi étiquetées comme réalistes, soit pour leurs sujets picturaux reflétant la prise de conscience collective de la réalité sociale et naturelle propre à la Corée, soit pour leur rendu visuel très vif (saeng) et authentique (chin).

Figure 1. Kang Sehwang, Taehŭngsa (« Temple de la grande prospérité »), encre de couleur sur papier, vers 1757, 32,8×53,4 cm, Musée national de Corée, Séoul, https://www.museum.go.kr/site/main/relic/search/view?relicId=4335#. L’effet de profondeur est créé dans cette peinture par la perspective linéaire partiellement appliquée.
La qualité visuelle de ces peintures est en partie expliquée par la réception de l’imagerie « occidentale » et de sa technique. Cette réception fut cependant modeste et indirecte en l’absence de missionnaires et de marchands européens dans la péninsule. Elle reposa essentiellement sur les étroites relations diplomatiques et commerciales avec la Chine, ce qui permit à certains Coréens privilégiés de voyager jusqu’à Pékin où étaient installés, depuis le début du ⅩⅦᵉ siècle, des missionnaires européens. Ces voyageurs coréens furent un vecteur de savoirs et d’arts occidentaux. Ils rapportèrent au pays de nombreux objets occidentaux acquis dans la capitale chinoise tels que des cartes, des longues-vues et des chambres-noires, mais aussi des livres religieux et scientifiques d’auteurs européens traduits en chinois, sans oublier des estampes, des peintures et des dessins dits « occidentaux ». En témoignant de l’art occidental tel qu’il fut perçu dans les églises catholiques, les journaux de voyage appelés génériquement yŏnhaengnok contribuèrent à forger dans l’esprit des Coréens de l’époque une conception bien précise de la peinture « occidentale ».
Une grande partie des peintures que les Coréens appelaient sŏyanghwa (littéralement « peinture d’Occident ») ne sont pas des tableaux proprement occidentaux, mais en réalité des œuvres sino-européennes dans un style « hybride ».

Figure 2. Jan Luyken, Peter Schenk l’Ancien, d’après le dessin de Cornelis de Bryn, Vue d’Alep, estampes, 1698, 30×39,8 cm, Rijksmuseum, Amsterdam, http://hdl.handle.net/10934/RM0001.COLLECT.336787.
De toutes les peintures occidentales introduites en Corée à l’époque du Chosŏn, une seule est parvenue jusqu’à nos jours. C’est une estampe de Peter Schenk l’Ancien (1660-1711), un graveur, cartographe et éditeur allemand, acquise par le riche médecin royal Kim Kwangguk (1727-1797), lui-même grand collectionneur de peintures européennes, lors de l’un de ses deux voyages à Pékin en 1776 et 1779. Cette estampe publiée à Amsterdam au début du ⅩⅧᵉ siècle, intitulée « Sultanie » en néerlandais et « Sultania » en latin est le paysage d’une ville de l’Empire perse. Elle fait actuellement partie
d’une collection privée à laquelle je n’ai pu avoir accès. J’ai donc choisi une estampe de Peter Schenk l’Ancien conservée au Rijksmuseum, qui représente le paysage d’Alep dans le même style, pour donner une idées des images occidentales ayant circulées en Corée du ⅩⅧᵉ siècle.
L’espace pictural de ces œuvres montre l’utilisation mixte de certaines techniques picturales européennes et des éléments de la peinture traditionnelle chinoise. Cette hybridité n’a pourtant pas empêché les spectateurs coréens de l’époque de qualifier les peintures sino-européennes d’occidentales. La question du rapport entre les peintures « occidentales » et les peintures coréennes du ⅩⅧᵉ siècle que l’on qualifie aujourd’hui de « réalistes » ne se pose donc ni sur la véracité des savoirs coréens de l’art pictural européen, ni sur l’exactitude de leur application. Ce genre de question me semble susceptible d’encourager un discours judicatoire et axiologique sur l’art coréen avec une connotation nationaliste qui valorise la singularité artistique des peintures traditionnelles coréennes et isole l’art dans sa localité de la culture coréenne. Il convient plutôt de s’interroger sur le trait commun des expériences esthétiques induites par la peinture dite « occidentale » et la peinture coréenne dite « réaliste ». Ce trait serait le réalisme défini comme sentiment cognitif de voir le vivant ou le réel dans une image picturale.
Les lettrés coréens du ⅩⅧᵉ siècle appréciaient effectivement ces deux types de peintures pour leur « effet de réel » qu’ils attribuaient à l’optique et la géométrie. La source principale de leur connaissance est à chercher dans les livres scientifiques transmis depuis la Chine, et en particulier le Jihe yuanben, c’est-à-dire la traduction chinoise des six premiers livres des Éléments de géométrie d’Euclide en latin par la collaboration de Matteo Ricci (1552-1610) et Xu Guangqi (1562-1633). Quelques lois générales de l’optique que l’on peut appliquer à la construction perspective de l’espace pictural sont brièvement mentionnées par Ricci dans la préface comme une des utilités de la géométrie euclidienne. La perspective est une invention de la Renaissance italienne du ⅩⅤᵉ siècle. Elle est considérée comme un élément essentiel de l’art occidental, voire comme une « forme symbolique » à travers laquelle la vision occidentale du monde serait exprimée ou incarnée. Ce système pictural se trouve ainsi, aujourd’hui, au centre du débat inter-culturel sur la fabrication des images et sur la perception picturale. Il est mis en jeu, d’un côté, par ceux qui veulent différencier la peinture occidentale de la peinture extra-occidentale et, de l’autre, par ceux qui souhaitent défendre le réalisme des images picturales extra-occidentales, y compris celui de la Corée du ⅩⅧᵉ siècle.
Ma réflexion sur la réception coréenne de l’art pictural occidental se développe dans le cadre de cette problématique. Elle vise à explorer la compatibilité des deux aspects : la variabilité culturelle de l’art et de l’expérience esthétique coréens, et l’homologie transculturelle de cette expérience. Une communication sur ce sujet, intitulée “Patterns” of Aesthetic Mind : transcultural experience of European perspective in Korea and in China during the 18th century, a été présentée dans une conférence internationale des études coréennes qui a eu lieu à Helsinki en 2020. Elle a débouché sur un projet d’article explorant la conception coréenne de sŏyanghwa au ⅩⅧᵉ siècle en matière de géométrie, d’optique et d’« effet de réel ». Un travail préparatoire m’a cependant paru nécessaire pour mener à bien ce projet. Il s’agit de remettre en cause la notion même de l’art traditionnel coréen et de concevoir ce dernier dans un cadre théorique nonontologique ou expérientiel. Un de mes articles en attente de publication s’intéresse précisément à la notion phénoménologique de la tradition par Ko Yusŏp (1905-1944), le fondateur des études de l’histoire des arts coréens et le premier théoricien coréen moderne de l’esthétique. Ma conviction est que l’examen de cette notion laisse apparaître la possibilité de regarder la tradition coréenne comme une forme de vie humaine.
Postdoctorante RESCOR 2019/2020

Seoul, décembre 2019 © Jérôme-Cécil Auffret
Le RESCOR vous souhaite une belle année 2021 !
2021년 신축년에는 새로운 희망이 가득하고 뜻하는 바 모두 이루시는 한 해가 되기 바랍니다
Septembre 2010 – décembre 2020 ! Dix ans d’aventures du RESCOR s’achèvent et il n’est pas simple d’en dresser le bilan ici et maintenant ! Convient-il d’ailleurs de le faire, dans la mesure où il est vraisemblable que l’équipe actuelle du RESCOR, en partie ou dans sa totalité, tentera un nouveau départ dans quelques mois auprès du Korean Studies Promotion Service, en 2021 ? Pendant dix ans, le fonctionnement du Réseau aura permis à une « troisième voie » des études coréennes d’exister et de s’épanouir. Une « troisième voie » donnant des possibilités nouvelles et multiples : la possibilité de faire réseau, d’élargir nos cercles, de collaborer avec d’autres collègues et chercheurs ; la possibilité d’organiser de manière plus libre et créative des événements scientifiques, de produire et de publier ; la possibilité de donner accès à un large public de fonds d’études sur la Corée (les Corées) en langue française ; de soutenir activement les étudiants de Master, Doctorat et jeunes chercheurs des établissements fondateurs, contribuant par là à favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de spécialistes ; la possibilité de subventionner des initiatives estudiantines ; la possibilité de mettre en valeur des fonds dormants de nos aînés généreusement mis à disposition ; de faire mémoire des parcours de nos anciens pour mesurer d’où nous venons collectivement, combien nous leur devons, et de construire en conscience notre futur ; de dresser un bilan des études coréennes dans l’Hexagone depuis la première fois, de donner de la visibilité à nos actions… Le fait que le Réseau ait accompagné une vaste dynamique de recrutement d’enseignants-chercheurs dans de nombreuses universités en France ces dernières années ne relève pas du hasard. Les années RESCOR. Le RESCOR n’a pas occupé la place d’autres : il a ouvert des espaces et dynamisé les réseaux préexistants au niveau national et international (AFPEC, AKSE). Au bout du compte, le RESCOR a beaucoup semé pour une récolte dont les fruits ne seront visibles que dans plusieurs années. L’arrêt, même temporaire, du RESCOR est d’autant plus poignant qu’il advient dans le contexte singulier d’une crise sanitaire mondialisée, dévoilant les forces et les faiblesses de nos sociétés, ainsi que leur haut degré de connexion, sinon de mimétisme. La Corée du Sud, dans sa différence, s’est encore rapprochée de nous dans cette crise. La logique collaborative sur laquelle repose tout l’édifice du RESCOR y a trouvé sans doute la confirmation de son bien-fondé. Restons persuadés de l’idée que nous sommes plus forts collectivement lorsque nous collaborons. À l’heure où ces lignes sont écrites, il reste bien des incertitudes sur les modalités de « sortie de crise », et sur l’avenir du RESCOR. À nous de continuer à faire fructifier les études coréennes francophones tout en nous renouvelant. La production de matériaux pédagogiques, la traduction, l’activité internationale du réseau sont autant de chantiers que le RESCOR a contribué à ouvrir et qu’il pourrait développer dans un futur proche. Le RESCOR 2 s’achève dans un contexte mêlant incertitude et espoir. À tous les membres du RESCOR, à tous ceux qui participent au Réseau et qui en bénéficient, j’adresse avec émotion mes remerciements et mes vœux les plus chaleureux pour la nouvelle année !
Responsable du Réseau des Études sur la Corée
Au sud de la péninsule coréenne se trouve une île d’origine volcanique nommée Jeju. Cette île est habitée par les plongeuses apnéistes sud-coréennes appelées haenyŏ (해녀 海女, littéralement « la femme de la mer »), dont la pêche ancestrale a été inscrite dans le patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2017, j’ai obtenu un master en anthropologie en Corée du Sud, avec une étude qui porte sur le culte de la tortue de mer chez ces femmes. Les haenyŏ adorent l’animal comme la fille cadette de la déesse de la mer, Dragon-La-Grand-mère (용왕할망).
En été 2016, pendant mon enquête de terrain centrée sur la tortue, j’ai entendu parler d’un esprit ancestral très redouté à Jeju. Plusieurs haenyŏ m’ont raconté l’histoire d’un « ancêtre » appelé Toch’aebi : « A Jeju, dans le village, il y a quelques familles qui adorent secrètement Toch’aebi. On ne prend jamais les filles de ces familles comme épouse. Lors d’un mariage, Toch’aebi les suit et détruit complètement le foyer du mari. Il a un sale caractère, il apporte soit un grand succès, soit un échec absolu ». Dans le chamanisme de Jeju, Toch’aebi est représenté comme une divinité protectrice des pêcheurs, des marins, des forgerons et des chasseurs. Avant les années 80, il a été également l’une des divinités familiales dont le culte était largement répandu sur toute l’île. Y croire n’était pas une honte, ni un secret. Or, c’est une tout autre histoire aujourd’hui.
À l’aide d’une bourse de master de RESCOR, j’ai mené une enquête ethnographique sur cet ancêtre particulier, de juillet à septembre 2019. Il s’agissait d’éclairer la croyance secrète des insulaires en Toch’aebi : pourquoi est-il adoré secrètement ? Quelles familles y croient-elles et pourquoi cachent-elles leur croyance ? En particulier, pourquoi refuse-t-on de s’apparenter avec des familles croyantes ?
En été 2019, j’ai assisté à trois rites chamaniques, à une fête de l’automne (ch’usŏk 추석), et mené de nombreux entretiens avec des haenyŏ, des villageois, des chamans et des folkloristes. Pour présenter brièvement le processus de mon enquête, j’ai recueilli largement les rumeurs sur Toch’aebi en juillet et août, en investiguant plus de 20 villages à l’est de Jeju. Pendant cette période, j’ai pu vérifier l’existence des familles problématiques (c.-à-d. ceux qui croient en Toch’aebi) au moins dans 15 villages, mais dès que j’ai posé des questions sérieuses sur ces familles, les habitants ont refusé de me divulguer le « secret » de leurs voisins. Le silence et la réticence des villageois étaient tenaces, et je dois avouer que ce n’était pas une enquête facile. Ce n’est qu’en septembre que j’ai pu percer l’histoire d’une famille croyante : une famille riche et notable, qui a perdu une grande part de sa fortune à l’entreprise de navire.

L’autel domestique pour l’esprit de serpent, Tzil-sung. Copies exposées dans le « village folklorique de Jeju » à Pyoseon. ©Kang Daehoon, août 2019. Autrefois, à Jeju, on a déposé tels autels pour les esprits familiaux (y compris Toch’aebi) dans une arrière-cour. Après le projet modernisateur de l’Etat, on l’a déplacé à l’intérieur de la maison pour cacher leur croyance. En 2019, je n’ai pas pu voir aucun autel dédié à Toch’aebi.
Dans le mémoire, j’ai apporté un éclairage sur deux éléments sous-jacents à ce phénomène. D’une part, j’ai démontré que dans la conception des communautés villageoises restées peu exposées à l’économie monétaire jusqu’aux années 1970, le risque et la précarité inhérents à l’économie capitaliste, arrivée très tardivement sur l’île, avaient été attribués à cet ancêtre dévastateur des notables traditionnels. D’autre part, j’ai examiné comment le projet modernisateur de l’Etat avait tenté de détrôner l’autorité des ancêtres et des divinités locales, en conduisant le culte chamanique vers la clandestinité et donc, à son extrême privatisation.
Même si ces résultats de recherche ne sont pas négligeables, il me semble que je n’ai pas suffisamment éclairé l’énigme de cet ancêtre. Surtout, je n’ai pas traité la question de parenté ni celle d’alliance matrimonial sur l’île. Malgré les particularités du système de parenté de Jeju, la coutume de la succession y reste curieusement confucéenne : la valorisation du droit d’aînesse, la succession exclusive aux fils et le principe de patrilinéarité y sont observées. Sous cette idéologie, une fois mariées, les filles deviennent « étrangères » à leur famille natale, désormais faisant partie du foyer du mari. Dans un tel milieu social charpenté autour des fils et des hommes, les femmes, à la fois marginales et vulnérables dans l’institution matrimoniale, sont pourtant les seules susceptibles de menacer le système social, car ce n’est que les femmes qui « bougent » lors d’un mariage : d’une fille de l’un à une bru de l’autre. Il y aurait un certain rapport entre l’ambiguïté de la femme en tant qu’étranger – vulnérable et menaçante – dans un monde patriarcal, et l’ancêtre dévastateur, Toch’aebi, sur l’île de Jeju.

30th AKSE Conference
28-31 October 2021, La Rochelle (France)
– Call for Papers and First Notice –
updated on 9 December 2020
30th AKSE Conference Call for Papers and First Notice – updated on 9 December 2020 (PDF)
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