Compte rendu

CHOI Jimin, « Le Centre national de la santé mentale en Corée du Sud »

Actuellement en année préparatoire de Doctorat à l’EHESS, je réalise une étude comparative sur la phobie sociale en France et en Corée du Sud. J’ai bénéficié d’un financement du RESCOR pour effectuer un terrain de recherche à Séoul durant l’été 2018. Dans un premier temps, la préparation de ce terrain consistait à sélectionner de potentiels terrains d’étude, d’une part, pour réaliser  des entretiens auprès des individus souffrants de phobie sociale et d’autre part pour consulter des archives en matière de santé mentale. L’analyse des entretiens n’ayant pas été achevée au moment où j’écris ce compte-rendu, je m’appuierai plutôt sur la consultation des archives pour présenter mes recherches.

De fait, dès la phrase préparatoire du terrain, j’ai rencontré de nombreuses difficultés à la fois d’ordre spatial et administratif. La politique de décentralisation des différents appareils étatiques a dispersé les bureaux en charge de santé mentale en divers points du pays, notamment l’Institut coréen de la santé et des affaires sociales (한국보건사회연구원) situé à Séjong-si au nord de Daejeon. Si ce dernier fournit de véritables pistes de réflexion concernant le domaine de la santé mentale (mais également de la santé au sens large du terme) en Corée du Sud, il est néanmoins difficile d’avoir accès à l’ensemble de  ses travaux, hormis par le biais du site d’Internet de KIHASA.

C’est la raison pour laquelle j’ai donc choisi le Centre national de la santé mentale (국립정신건강센터) comme terrain principal de mes recherches car ses travaux sont plus facilement accessibles. Situé à Jungok-dong à Séoul, le CNSM a pris le relais de l’Hôpital national de Séoul depuis 2016 dans ses activités relatives à la santé mentale. Le CNSM a d’ailleurs été inauguré symboliquement au même endroit que l’ancien Hôpital National de Séoul (국립 서울 정신병원). Plus précisément, ce lieu a été ouvert afin de renforcer la prévention des troubles psychiques et de proposer des services de soins adéquats et efficaces sans crainte de stigmatisation. Son inauguration fait suite, en effet, à la révision de la loi sur la Santé Mentale (정신보건법), adoptée en 1995 et révisée en 2016, qui introduit une nouvelle manière de considérer la psyché humaine : on ne parle plus de « maladie mentale » mais de « santé mentale », la nuance est importante ici. La souffrance psychique devient admise et visible en tant qu’enjeu non pas individuel mais social et sociétal. Social car de plus en plus d’individus qui déclarent souffrir de troubles psychiques et sociétal exigent une réponse concrète au niveau national pour, notamment, faire face aux coûts élevés induits par leur maladie.

Centre national de la santé mentale à l’arrondissement Jungok-dong de Séoul. ©CHOI Jimin
La vitrine transparente du CNSM reflète la volonté du gouvernement sud-coréen de déstigmatisation de la question de la santé mentale.

La bibliothèque au 3ème étage du CNSM possède plusieurs travaux sur la santé mentale depuis 1948 et la naissance de la République de Corée. L’accès étant réservé aux médecins et infirmières, il a fallu une demande d’autorisation pour la consultation des archives. Le responsable de la bibliothèque a accepté ma présence à condition que je n’emprunte pas les ouvrages, dont la majorité est pourtant épuisée.  

J’ai pu, ainsi, passer deux semaines à la bibliothèque du CNSM. J’ai d’abord pris des notes à la main, ce qui s’est révélé peu efficace. Finalement, la bibliothécaire a fini par me proposer de scanner des documents. Parmi les nombreuses informations recueillies, la consultation d’un ouvrage publié par l’association de la neuropsychiatrie coréenne a été particulièrement intéressante. L’ouvrage, publié par des praticiens sud-coréens eux-mêmes, retrace la généalogie de la psychiatrie occidentale dans la péninsule coréenne et de son rôle dans la modernisation de la société coréenne telle qu’on la connaît aujourd’hui.

La psychiatrie – au sens large du terme – qui a été introduite en Corée suite au traité de Gangwha en 1876 est donc étroitement liée à la colonisation japonaise. Ainsi, les auteurs laissent apparaître une attitude ambivalente à l’égard de la psychiatrie occidentale.  Sur la base d’une scientificité rigoureuse, les médecins coréens se sont appropriés cette médecine dont l’introduction rappelle, toutefois, l’expérience amère de la colonisation par l’empire japonais entre 1910 et 1945. Il n’en reste pas moins que le processus d’appropriation d’un savoir médical étranger s’est déroulé de manière autonome selon les auteurs. Cette dialectique entre refus et appropriation ne concernerait, toutefois, pas que la médecine.

Il serait donc tout à fait intéressant de continuer mes recherches sur l’histoire de la psychiatrie en Corée du Sud afin, dans un premier temps, de mieux éclairer la question de sa modernité mais aussi pour me concentrer plus spécifiquement sur le sujet de la phobie sociale.

CHOI Jimin
Doctorant à l’EHESS
Boursier RESCOR 2018

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Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS