Atelier de traduction : 허생전(許生傳)

Texte original:

許生居墨積洞。直抵南山下,井上有古杏樹,柴扉向樹而開,草屋數間,不蔽風雨。然許生好讀書。妻爲人縫刺以糊口。一日妻甚饑,泣曰:

 

“子平生不赴擧,讀書何爲?” 許生笑曰:“吾讀書未熟。” 妻曰:“不有工乎?” 生曰:“工未素學奈何?” 妻曰:“不有商乎?”生曰:“商無本錢奈何?”其妻恚且罵曰:“晝夜讀書,只學奈何? 不工不商,何不盜賊?” 許生掩卷起   曰:“惜乎!吾讀書本期十年,今七年矣。”

 

出門而去。無相識者,直之雲從街,問市中人曰:“漢陽中誰最富?” 有道卞氏者, 遂訪其家。許生長揖曰 : “吾家貧。欲有所小試。願從君借萬金。” 

 

卞氏曰 : “諾。” 立與萬金, 客竟不謝而去。子弟賓客, 視許生丐者也。絲絛穗拔,革屨跟顚,笠挫袍 煤,鼻流淸涕。客旣去,皆大驚曰:“大人知客乎?” 曰 : “不知也。” “今一朝,浪空擲萬金於生平所不知何人,而不問其姓名何也?”

 

卞氏曰 : “此非爾所知 。凡有求於人者,必廣張志意,先耀信義。然顔色媿屈,言辭重複。彼客衣屨雖弊,辭簡而視傲,容無怍色,不待物而自足者也。彼其所試術不小,吾亦有所試於客。不與則已,旣與之萬金,問姓名何爲?” 於是許生旣得萬金,不復還家,以爲安城畿ㆍ湖之交,三南之綰口,遂止居焉。棗、栗、柹、梨、柑、榴、橘、柚之屬,皆以倍直居之。

 

許生榷菓,而國中無以讌祀。居頃之,諸賈之獲倍直於許生者,反輸十倍。許生喟然嘆曰:“以萬金傾之,知國淺深矣。” 以刀、鏄、布、帛、綿入濟州,悉收馬鬉鬣曰:

 

“居數年,國人不裹頭矣。”居頃之,網巾價至十倍。許生問老篙師曰:“海外豈有空島可以居者乎?” 篙師曰:“有之。常漂風直西行三日夜。泊一空島。計在沙門長崎之間。花木自開,菓蓏自熟,麋鹿成群,游魚不驚。”

 

許生大喜曰:“爾能導我,富貴共之。” 篙師從之,遂御風東南,入其島。許生登高而望,悵然曰:“地不滿千里,惡能有爲 ? 土肥泉甘,只可作富家翁。” 篙師曰:“島空無人,尙誰與居 ?” 許生曰:“德者人所歸也。尙恐不德。何患無人。”

 

是時邊山群盜數千,州郡發卒逐捕,不能得。然群盜亦不敢出剽掠,方饑困。許生入賊中說其魁帥曰:“千人掠千金,所分幾何 ?” 曰:“人一兩耳。”許生曰:“爾有妻乎?” 群盜曰:“無。” 曰:“爾有田乎?” 群盜笑曰:“有田有妻,何苦爲盜?” 許生曰:“審若是也,何不娶妻樹屋,買牛耕田,生無盜賊之名,而居有妻室之樂,行無逐捕之患,而長享衣食之饒乎 ?”

 

群盜曰:“豈不願如此? 但無錢耳。” 許生笑曰:“爾爲盜何患無錢? 吾能爲汝辦之。明日,視海上風旗紅者,皆錢船也。恣汝取去!” 許生約群盜,旣去。群盜皆笑其狂。及明日,至海上,許生載錢三十萬,皆大驚羅拜曰:“唯將軍令。” 許生曰:“惟力負去。” 於是群盜爭負錢,人不過百金。

 

許生曰:“爾等力不足以擧百金,何能爲盜? 今爾等雖欲爲平民,名在賊簿,無可往矣。吾在此俟汝,各持百金而去。人一婦一牛來。” 群盜曰:“諾。” 皆散去。許生自具二千人一歲之食以待之。及群盜至,無後者,遂俱載入其空島。留三年之儲,餘悉舟載往糶長崎島。長崎者,日本屬州,戶三十一萬,方大饑,遂賑之,獲銀百萬。

 

許生歎曰:“今吾已小試矣。” 於是悉召男女二千人,令之曰:“吾始與汝等入此島,先富之,然後別造文字,刱製衣冠。地小德薄 。吾今去矣。兒生執匙, 敎以右手,一日之長,讓之先食。”悉焚他船曰:“莫往則莫來。” 投銀五十萬於海中曰:

 

“海枯有得者,百萬無所容於國中,况小島乎?” 有知書者,載與俱出曰:“爲絶禍於此島。” 於是遍行國中,賑施與貧無告者,銀尙餘十萬曰:“此可以報卞氏。” 往見卞氏曰:“君記我乎?” 卞氏驚曰:“子之容色,不少瘳。得無敗萬金乎?” 許生笑曰:“以財粹面,君輩事耳。萬金何肥於道哉?” 

 

於是以銀十萬付卞氏曰 : “吾不耐一朝之饑,未竟讀書,慙君萬金。” 卞氏大驚,起拜辭謝,願受什一之利。許生大怒曰:“君何以賈竪視我 ?” 拂衣而去。卞氏潛踵之,望見客向南山下,入小屋。有老嫗,井上澣。卞氏問曰:“彼小屋誰家?” 嫗曰:“許生員宅,貧而好讀書。一朝出門不返者已五年。獨有妻在,祭其去日。”

 

卞氏始知客乃姓許,歎息而歸。明日悉持其銀往遺之。許生辭曰:“我欲富也,棄百萬而取十萬乎?吾從今得君而活矣。君數視我計口送糧,度身授布,一生如此足矣。孰肯以財勞神 ?” 卞氏說許生百端,竟不可奈何。卞氏自是度許生匱乏,輒身自往遺之。許生欣然受之,或有加則不悅曰: “君奈何遺我災也?” 以酒往則益大喜,相與酌至醉。旣數歲,情好日篤。嘗從容言 “五歲中,何以致百萬?”

 

許生曰 : “此易知耳。朝鮮舟不通外國,車不行域中。故百物生于其中,消于其中。夫千金小財也,未足以盡物。然析而十之百金,十亦足以致十物。物輕則易轉,故一貨雖絀,九貨伸之。此常利之道,小人之賈也。夫萬金足以盡物。故在車專車,在船專船,在邑專邑。如綱之有罟,括物而數之。陸之產萬,潛停其一。水之族萬,潛停其一。醫之材萬,潛停其一。一貨潛藏,百賈涸。此賊民之道也。後世有司者,如有用我道,必病其國。”

 

卞氏曰 : “初子何以知吾出萬金而來吾求也?” 許生曰 : “不必君與我也。能有萬金者,莫不與也。吾自料吾才足以致百萬。然命則在天,吾何能知之?故能用我者,有福者也。必富益富,天所命也。安得不與?旣得萬金,憑其福而行,故動輒有成。若吾私自與,則成敗亦未可知也。” 卞氏曰:“方今士大夫欲雪南漢之恥。

 

此志士扼脆奮智之秋也。以子之才,何自苦沉冥以沒世耶?”許生曰:“古來沉冥者何限?趙聖期拙修齋可使敵國,而老死布褐。柳馨遠磻溪居士足繼軍食,而逍遙海曲。今之謀國政者,可知已。吾善賈者也。

 

其銀足以市九王之頭。然投之海中而來者,無所可用故耳。” 卞氏喟然太息而去。卞氏本與李政丞浣善。李公時爲御營大將。嘗與言 “委巷閭閻之中,亦有奇才可與共大事者乎?”

 

卞氏爲言許生。李公大驚曰:“奇哉 ! 眞有是否?其名云何?”卞氏曰:“小人與居三年,竟不識其名。” 李公曰:“此異人,與君俱往。” 夜公屛騶徒,獨與卞氏俱步至許生。卞氏止公立門外,獨先入,見許生具道李公所以來者。許生若不聞者曰:“輒解君所佩壺。” 相與歡飮。卞氏閔公久露立數言之,許生不應。旣夜深,許生曰:

 

“可召客。” 李公入,許生安坐不起。李公無所措躬,乃叙述國家所以求賢之意。許生揮手曰 : “夜短語長,聽之太遲。汝今何官?” 曰:“大將。”許生曰:“然則汝乃國之信臣。我當薦臥龍先生,汝能請于朝三顧草廬乎?”

 

公低頭良久曰:“難矣,願得其次。” 許生曰:“我未學第二義。” 固問之,許生曰:“明將士以朝鮮有舊恩。其子孫多脫身東來,流離惸鰥。汝能請于朝,出宗室女遍嫁之,奪勳戚權貴家,以處之乎?”公低頭良久曰:“難矣。” 許生曰:“此亦難彼亦難。何事可能?

 

有最易者,汝能之乎?” 李公曰:”願聞之。” 許生曰:“夫欲聲大義於天下而不先交結天下之豪傑者,未之有也。欲伐人之國而不先用諜,未有能成者也。今滿洲遽而主天下,自以不親於中國。而朝鮮率先他國而服,彼所信也。誠能請遣子弟入學遊宦,如唐元故事,商賈出入不禁,彼必喜其見親而許之。妙選國中之子弟,薙髮胡服,其君子往赴賓擧,其小人遠商江南,覘其虛實,結其豪傑。

 

天下可圖而國恥可雪。若求朱氏而不得, 率天下諸侯,薦人於天,進可爲大國師,退不失伯舅之國矣。”

 

李公憮然曰:“士大夫皆謹守禮法,誰肯薙髮胡服乎?” 許生大叱曰:“所謂士大夫,是何等也? 產於彛貊之地,自稱曰士大夫,豈非騃乎?衣袴純素,是有喪之服。會撮如錐,是南蠻之椎結也。何謂禮法?

 

樊於期欲報私怨而不惜其頭。武靈王欲强其國而不恥胡服 。乃今欲爲大明復讎,而猶惜其一髮。乃今將馳馬擊釖刺 鎗弓+平弓飛石,而不變其廣袖。自以爲禮法乎?吾始三言, 汝無一可得而能者,自謂信臣。信臣固如是乎?是可斬也 。” 左右顧索釖欲刺之。公大驚而起,躍出後牖疾走歸。 明日復往,已空室而去矣。

Traduction(s)

L’histoire du lettré Hŏ (Hŏsaeng chŏn 許生傳)

Texte original

Traduction

許生居墨積洞。直抵南山下,井上有古杏樹,柴扉向樹而 開,草屋數間,不蔽風雨。然許生好讀書。妻爲人縫刺以 糊口。一日妻甚饑,泣曰:

Le lettré Hŏ habitait dans le quartier de Mukchŏk[A1]. Un vieux ginkgo[A2] s’y élevait au-dessus d’un puits, juste au pied du Mont Namsan. La porte de branchages faisant face à cet arbre était toujours ouverte et donnait sur une maison de quelques pièces avec un toit de chaume qui ne protégeait en rien du vent et de la pluie.

Le lettré Hŏ n’aimait guère s’adonner qu’à l’étude, tandis que son épouse gagnait péniblement sa vie en faisant de la couture. Un jour qu’elle était très affamée, elle lui dit en pleurant :

 

“子平生不赴擧,讀書何爲?” 許生笑曰:“吾讀書未熟。” 妻曰:“不有工乎?” 生曰:“工未素學奈何?” 妻曰:“不 有商乎?”生曰:“商無本錢奈何?”其妻恚且罵曰:“晝夜 讀書,只學奈何? 不工不商,何不盜賊?” 許生掩卷起 曰:“惜乎!吾讀書本期十年,今七年矣。”

« De toute ta vie, tu n’as jamais tenté de passer les concours mandarinaux. À quoi te servent donc toutes ces lectures ? »

– C’est que je n’ai pas encore lu tout ce que j’avais à lire, répondit-il en souriant.

– Ne pourrais-tu pas devenir artisan ?

– À quoi bon s’engager dans l’artisanat sans rien y connaître ?

– Ne pourrais-tu pas devenir marchand ?

– À quoi bon faire du commerce sans disposer de capital[A3] ?

– Tu t’adonnes à l’étude jour et nuit, l’admonesta sa femme énervée, mais à quoi bon se contenter d’étudier ? Tu rechignes à devenir artisan ou marchand, alors pourquoi n’essayerais-tu pas de te faire brigand[A4] ?

Le lettré ferma son livre et se leva en disant :

« Quel dommage ! Moi qui avais à l’origine prévu d’étudier pendant dix ans, je n’en suis aujourd’hui qu’à sept. »

 

出門而去。無相識者,直之雲從街,問市中人曰:“漢陽中 誰最富?” 有道卞氏者, 遂訪其家。許生長揖曰 :

Et il sortit de chez lui. Ne connaissant personne, il se rendit directement rue Unjong[A5] et demanda aux gens du marché :

« Qui est la personne la plus riche à Hanyang[A6] ? »

Un quidam lui indiqua que c’était Monsieur Pyŏn, et il se rendit donc chez cette personne[A7]. Après une grande prosternation, Hŏ lui déclara :

 

“吾家貧。欲有所小試。願從君借萬金。” 卞氏曰 : “諾。” 立與萬金, 客竟不謝而去。子弟賓客, 視許生丐者也。絲絛 穗拔,革屨跟顚,笠挫袍 煤,鼻流淸涕。客旣去,皆大驚 曰:

« Ma famille est pauvre et j’ai dans l’idée de mener une petite entreprise. Aussi souhaiterais-je vous emprunter dix-mille nyang[A8]. »

– D’accord, lui répondit Monsieur Pyŏn.

Et il lui donna immédiatement les dix-mille nyang. Le visiteur se retira sans le moindre remerciement. Les suivants[A9] [de Pyŏn] s’imaginèrent que Hŏ était un mendiant : sa ceinture de soie était en haillons, les talons de ses chaussures en cuir complètement usés, son chapeau[A10] en piètre état et son pardessus[A11] noir de suie, sans compter un écoulement clair qui s’échappait de son nez. Dès que le visiteur fut parti, tous demandèrent, fort interloqués :

 

“大人知客乎?” 曰 : “不知也。” “今一朝,浪空擲萬金於生 平所不知何人,而不問其姓名何也?” 卞氏曰 : “此非爾所 知 。凡有求於人者,必廣張志意,先耀信義。然顔色媿屈 ,言辭重複。彼客衣屨雖弊,辭簡而視傲,容無怍色,不 待物而自足者也。彼其所試術不小,吾亦有所試於客。不 與則已,旣與之萬金,問姓名何爲?” 

« Monsieur[A12] connaît-il ce visiteur ? »

– Pas le moins du monde, répliqua-t-il.

– Vous abandonnez dix-mille nyang à un homme que vous n’avez jamais vu, si ce n’est ce matin, et sans même lui demander son nom. Mais pourquoi donc ?

– Ce n’est pas ce que vous croyez. Les individus qui demandent habituellement de l’argent étalent leur détermination et montrent qu’ils sont dignes de confiance. Mais avec leur mine rouge de honte, ils se répètent et s’emmêlent dans leur histoire. Ce visiteur, lui, avait des vêtements et des chaussures en loques, mais il parlait simplement et éprouvait une certaine fierté. Son visage ne laissait transparaître aucune trace de honte. Il n’avait que faire des richesses matérielles et se suffisait à lui-même. Ce qu’il va entreprendre n’est pas négligeable, et je voudrais également le mettre à l’épreuve. Si je ne lui avais pas donné cet argent, cela aurait été différent. Mais comme je lui ai déjà donné dix-mille nyang, à quoi cela me servirait-il de lui demander son nom ?

 

於是許生旣得萬金,不復還家,以爲安城畿ㆍ湖之交,三南之綰口,遂止居焉。棗、栗、柹、梨、柑、榴、橘、柚之屬,皆以倍直居之。許 生榷菓,而國中無以讌祀。居頃之,諸賈之獲倍直於許生 者,反輸十倍。許生喟然嘆曰:“以萬金傾之,知國淺深矣 。”

Hŏ ne rentra pas chez lui après avoir obtenu ces dix-mille nyang, mais gagna Ansŏng, à la limite des provinces du Kyŏnggi et du Ch’ungch’ŏng, précisément là où se rejoignent les routes menant aux trois provinces du sud, et il s’y installa[A13]. Il acheta toutes les jujubes, châtaignes, kakis, poires, mandarines, grenades, clémentines et citrons[A14], déboursant même le double de leur prix. Avec ce monopole acquis par le lettré, il n’y eut bientôt plus un seul fruit dans tout le pays pour célébrer les fêtes et sacrifices rendus aux ancêtres[A15]. Peu de temps après, les marchands ayant précédemment doublé leurs bénéfices revinrent auprès de Hŏ et obtinrent le rachat de leurs marchandises pour un prix multiplié par dix. Le lettré poussa alors un grand soupir :

« Dix-mille nyang suffisent donc pour influencer [le cours des fruits] et connaître les forces et faiblesses[A16] de notre pays. »

 

以刀、鏄、布、帛、綿入濟州,悉收馬鬉鬣曰:“居數年, 國人不裹頭矣。” 居頃之,網巾價至十倍。許生問老篙師 曰:“海外豈有空島可以居者乎?”

Il [acquit ensuite] couteaux, métaux, pièces de chanvre[A17], de soie et de coton, et se rendit à Cheju où il collecta tous les crins de cheval[A18] avant de conclure :

« Plus personne dans notre pays ne pourra se nouer un bandeau autour de la tête d’ici quelques années. »

Il ne fallut pas longtemps pour que le coût des bandeaux en crin de cheval[A19] soit multiplié par dix. Hŏ demanda ensuite à un vieux batelier :

« N’y aurait-il pas au-delà des mers une île déserte où il serait possible de s’installer ? »

 

篙師曰:“有之。常漂 風直西行三日夜,泊一空島,計在沙門長崎之間。花木自開,菓蓏自熟,麋 鹿成群,游魚不驚。” 許生大喜曰:“爾能導我,富貴共之 。” 篙師從之,遂御風東南,入其島。許生登高而望,悵 然曰:

– Si, lui répondit le batelier, j’en connais une. Il m’est arrivé d’être pris dans une tempête et de voguer vers l’ouest pendant trois jours et trois nuits,avant d’accoster sur une île déserte, semble-t-il entre Shamen[A20] et Nagasaki. Les fleurs et les arbres s’y épanouissent naturellement, tout comme les fruits et les courges. Les cerfs y vivent en troupeaux, tandis que les poissons nagent sans crainte de la présence humaine[A21].

– Si tu peux me conduire là-bas, se réjouit le lettré, je partagerai ma fortune avec toi.

Le batelier consentit à cette proposition et profita d’un vent favorable pour faire voile vers le sud-est. Lorsqu’ils arrivèrent sur l’île, Hŏ monta sur une hauteur et regarda au loin avant de se lamenter :

 

“地不滿千里,惡能有爲 ? 土肥泉甘,只可作富家翁。” 篙 師曰:“島空無人,尙誰與居 ?” 許生曰:“德者人所歸也。 尙恐不德。何患無人。” 是時邊山群盜數千,州郡發卒逐 捕,不能得。然群盜亦不敢出剽掠,方饑困。許生入賊中 說其魁帥曰:

« Cette terre ne couvre pas même mille lis[A22]. Comment seraitil donc possible d’y entreprendre la moindre chose ? Le sol est cependant fertile et l’eau de source délicieuse ; je ne pourrai donc que m’enrichir. »

– Avec qui donc espérez-vous vivre sur cette île déserte, sans âme qui vive ? 

– C’est la vertu qui fera converger les gens vers cette île, rétorqua Hŏ. Je m’inquiète davantage pour mon manque de vertu que pour ce lieu inhabité.

À cette époque, plusieurs milliers de brigands sévissaient en bande à Pyŏnsan[A23]. La milice locale avait été envoyée pour les arrêter, mais sans succès. Cela étant, les brigands n’osaient plus sortir pour se livrer à des pillages, et ils étaient presque à court de vivres et de ressources. Hŏ s’introduisit parmi eux et s’adressa à leur chef :

 

“千人掠千金,所分幾何 ?” 曰:“人一兩耳。”許生曰:“爾 有妻乎?” 群盜曰:“無。” 曰:“爾有田乎?” 群盜笑曰:“ 有田有妻,何苦爲盜?” 許生曰:“審若是也,何不娶妻樹 屋,買牛耕田,生無盜賊之名,而居有妻室之樂,行無逐 捕之患,而長享衣食之饒乎 ?” 群盜曰:“豈不願如此? 但 無錢耳。” 許生笑曰:“爾爲盜何患無錢? 吾能爲汝辦之。 明日,視海上風旗紅者,皆錢船也。恣汝取去!” 許生約 群盜,旣去。群盜皆笑其狂。

 

« Lorsque mille hommes ravissent mille nyang, combien chacun reçoit-il ? »

– Un nyang par personne, et pas un seul de plus.

– Certains d’entre vous ont-ils une femme ?

– Non.

– Avez-vous des champs ?

– Si nous avions des champs et des femmes, s’esclaffèrent-ils, pourquoi nous fatiguerions-nous à commettre des exactions ?

– Si c’est vraiment le cas, pourquoi ne pas prendre femme, bâtir une maison, acheter des bœufs et labourer la terre ? Votre vie ne serait plus entachée du nom de brigand, vous auriez la joie d’avoir une épouse sous votre toit, vous pourriez circuler sans craindre d’être arrêtés, et vous vivriez pour toujours dans l’aisance !

– Comment n’aurions-nous pas un tel souhait ? Mais il se trouve que nous sommes tout simplement sans le sou.

– Vous êtes des brigands, dit Hŏ avec un sourire, et vous vous inquiétez de manquer d’argent ? Laissez-moi m’en occuper pour vous : guettez demain les navires arborant un pavillon rouge, car ils seront remplis d’argent. Vous pourrez y prendre tout ce que vous voulez !

Le lettré se retira aussitôt après avoir fait cette promesse. Les brigands éclatèrent alors de rire, s’imaginant qu’ils avaient affaire à un fou.

 

及明日,至海上,許生載錢三十萬,皆大驚羅拜曰:“唯將 軍令。” 許生曰:“惟力負去。” 於是群盜爭負錢,人不過 百金。許生曰:“爾等力不足以擧百金,何能爲盜? 今爾 等雖欲爲平民,名在賊簿,無可往矣。吾在此俟汝,各持 百金而去。人一婦一牛來。” 群盜曰:“諾。” 皆散去。許 生自具二千人一歲之食以待之。及群盜至,無後者,遂俱 載入其空島。

 

Le lendemain, ils se rendirent au bord de la mer où Hŏ avait apporté trois-cent-mille nyang. Pris de stupéfaction, ils s’alignèrent autour de lui et se prosternèrent en disant : « Nous sommes à vos ordres, général. »

– N’emportez que ce que vous pourrez charger sur votre dos, leur déclara le lettré. Les brigands rivalisèrent alors pour ramasser le plus d’argent possible, mais pas un seul ne parvint à réunir plus de cent nyang[A24]

« Vous n’avez même pas la force de prendre plus de cent nyang, leur lança Hŏ. Comment pouvez-vous donc prétendre être des brigands ? Aujourd’hui, vous avez beau vouloir reprendre une vie normale, votre nom est inscrit sur le registre des bandits et vous n’avez nulle part où aller. Je vous attends ici : prenez chacun cent nyang et revenez avec une femme et un bœuf. »

– D’accord, répondirent-ils. Puis tous se dispersèrent. Hŏ prépara lui-même des vivres pour nourrir deux-mille hommes pendant une année et les attendit. Les brigands revinrent tous sans exception et il les fit embarquer sur des navires pour rejoindre l’île déserte.

 

留三年之儲,餘悉舟載往糶長崎島。長崎者,日本屬州, 戶三十一萬,方大饑,遂賑之,獲銀百萬。許生歎曰:“今 吾已小試矣。” 於是悉召男女二千人,令之曰: Le pays était devenu paisible, car le lettré avait réuni tous les brigands. Ces derniers se mirent à couper du bois pour leurs maisons et à construire des haies de bambous. Le sol était très fertile et la végétation luxuriante : aucune terre n’était laissée en friche et chaque tige donnait neuf épis. [Hŏ] laissa sur place des réserves pour trois ans et chargea sur des navires le surplus qu’il alla vendre à Nagasaki. Région japonaise de 310 000 foyers, Nagasaki connaissait justement une grande famine[A25]

Hŏ monnaya ses secours qui lui permirent de récolter un million de nyang en pièces d’argent. Puis il soupira :

« J’ai donc mené à bien ma petite entreprise. »

Il appela alors auprès de lui les deux-mille hommes et leurs femmes, puis déclara :

 

“吾始與汝等入此島,先富之,然後別造文字,刱製衣冠。 地小德薄 。吾今去矣。兒生執匙, 敎以右手,一日之長, 讓之先食。” 悉焚他船曰:“莫往則莫來。” 投銀五十萬於 海中曰:“海枯有得者,百萬無所容於國中,况小島乎?” 有知書者,載與俱出曰: « Au départ, je vous ai amené sur cette île pour vous rendre riches. Je voulais ensuite inventer une nouvelle écriture et entreprendre la confection de nouveaux vêtements[A26]. Mais cette île est petite et ma vertu superficielle. Je vais à présent vous quitter. Enseignez vos enfants à tenir leur cuillère de la main droite[A27] et à laisser les aînés, même d’un jour, manger en premier[A28]. »

Il brûla ensuite tous les navires, hormis le sien, et songea :

« Si personne ne quitte cette île, alors personne n’y viendra. »

Puis il jeta cinq cent-mille nyang à la mer en ajoutant :

« Lorsque la mer s’assèchera, quelqu’un trouvera bien cet argent. Il n’y a nul endroit où dépenser un million dans ce pays et a fortiori dans cette petite île. »

Il emmena avec lui tous ceux qui savaient lire et conclut:

 

“爲絶禍於此島。” 於是遍行國中,賑施與貧無告者,銀尙餘十萬曰:“此可以報卞氏。” 往見卞氏曰:“君記我乎?”卞氏驚曰:“子之容色,不少瘳。得無敗萬金乎?” 許生笑曰:“以財粹面,君輩事耳。萬金何肥於道哉?” 於是以銀十萬付卞氏曰 : “吾不耐一朝之饑,未竟讀書,慙君萬金。”

« C’est donc sur cette île que je suis parvenu à extirper le mal. »  

Il parcourut ensuite le pays pour venir en aide aux plus démunis. Et lorsqu’il ne lui resta plus que cent-mille nyang, il se dit :

« Voilà qui servira à rembourser M. Pyŏn. »

Il se rendit donc auprès de ce dernier et lui demanda :

« Vous souvenez-vous de moi ? »

– Vous n’avez pas l’air d’avoir meilleure mine, répondit Pyŏn quelque peu surpris. Auriez-vous donc perdu mes dix-mille nyang ?

– Dépenser une fortune pour se donner bonne mine n’intéresse que les gens de votre acabit, rétorqua Hŏ en souriant. Comment dix-mille nyang pourraient-ils bonifier la Voie[A29]

Et il remit alors cent-mille nyang à Pyŏn en lui disant :

« Je ne supportais pas d’endurer la faim le temps d’une matinée et, n’ayant pas fini mes lectures, je suis venu tout honteux vous importuner pour dix-mille nyang. »

 

卞氏大驚,起拜辭謝,願受什一之利。許生大怒曰:“君何以賈竪視我 ?” 拂衣而去。卞氏潛踵之,望見客向南山下,入小屋。有老嫗,井上澣。卞氏問曰:“彼小屋誰家?” 嫗曰:“許生員宅,貧而好讀書。一朝出門不返者已五年。獨有妻在,祭其去日。” 卞氏始知客乃姓許,歎息而歸。明日悉持其銀往遺之。許生辭曰:“我欲富也,棄百萬而取十萬乎?吾從今得君而活矣。

Pris de stupéfaction, Pyŏn se leva et se prosterna pour décliner poliment, insistant sur le fait qu’il attendait seulement un intérêt de 10%. Pris de colère, le lettré s’emporta :

« Comment avez-vous pu me prendre pour un vulgaire marchand ? »

Et retroussant ses manches, il s’en alla. Pyŏn le suivit discrètement et vit qu’il se rendait dans une petite maison au pied du mont Namsan. Apercevant une vieille femme qui lavait son linge au-dessus d’un puits, Pyŏn lui demanda :

« À qui appartient cette modeste demeure ? »

– C’est celle du lettré Hŏ, un homme sans le sou qui aime s’adonner à l’étude. Il est sorti un matin et n’est pas revenu depuis cinq ans. Son épouse vit seule et lui rend un sacrifice[A30] à chaque date anniversaire de son départ.

Pyŏn apprit ainsi que son invité répondait au nom de Hŏ. Il poussa un soupir et s’en retourna. Le lendemain, il ramena tout l’argent pour le donner au lettré qui refusa :

« Si j’avais voulu devenir riche, pourquoi aurais-je abandonné un million de nyang pour en prendre cent-mille à la place ? Désormais, je vais vivre grâce à votre magnanimité.

 

君數視我計口送糧,度身授布,一生如此足矣。孰肯以財 勞神 ?” 卞氏說許生百端,竟不可奈何。卞氏自是度許生匱 乏,輒身自往遺之。許生欣然受之,或有加則不悅曰: “君 奈何遺我災也?” 以酒往則益大喜,相與酌至醉。旣數歲 ,情好日篤。嘗從容言 “五歲中,何以致百萬?” 許生曰 : “此易知耳。朝鮮舟不通外國,車不行域中。故百物生于其 中,消于其中。夫千金小財也,未足以盡物。然析而十之 百金,十亦足以致十物。 Venez régulièrement me voir et apportez juste le nécessaire pour que chaque membre de ma famille puisse se nourrir et se vêtir. Je me contenterai bien de cette vie. Qui osera m’importuner avec des richesses ? »

Pyǒn usa de tous les moyens pour le dissuader, mais en vain. C’est ainsi qu’il commença à subvenir aux stricts besoins du lettré. Ce dernier en était fort aise, mais il s’offusquait au moindre excès de son bienfaiteur, lui demandant :

« Est-ce donc ma perte que vous voulez ? »  

Mais quand il s’agissait d’alcool, la joie était toujours plus grande, et les deux hommes buvaient jusqu’à être totalement ivres. Les années passèrent et rendirent leur amitié de plus en plus solide. Un beau jour, Pyŏn demanda posément :

« Comment êtes-vous donc parvenu à accumuler un million en l’espace de cinq ans ? »

– C’est tout simple, répondit Hŏ. Les navires coréens ne s’aventurent pas à l’étranger et les charrettes de marchandises ne circulent pas à l’intérieur du territoire. C’est la raison pour laquelle tout ce qu’on y produit est consommé au même endroit. Mille nyang n’est pas une somme considérable et ne suffit pas à tout acheter. Mais divisée en dix centaines, cette somme permet d’acquérir dix sortes de marchandises différentes.

 

物輕則易轉,故一貨雖絀,九貨伸之。此常利之道,小人 之賈也。夫萬金足以盡物。故在車專車,在船專船,在邑 專邑。如綱之有罟,括物而數之。陸之產萬,潛停其一。 水之族萬,潛停其一。醫之材萬,潛停其一。一貨潛藏, 百賈涸。此賊民之道也。後世有司者,如有用我道,必病 其國。” 卞氏曰 : “初子何以知吾出萬金而來吾求也?” 許 生曰 : “不必君與我也。能有萬金者,莫不與也。吾自料吾 才足以致百萬。

Celles de peu de valeur étant plus faciles à commercer, il est toujours possible de retirer des bénéfices avec neuf de ces marchandises lorsque la dixième vient à manquer. Voilà le procédé que les petites gens utilisent habituellement pour commercer et engranger des bénéfices. Dix-mille nyang suffisent en revanche pour tout acheter : que ce soit tout ce qu’il y a dans une charrette, dans un bateau ou dans un village. C’est comme attraper tout d’un seul coup avec les mailles d’un filet. Cela étant, monopoliser un produit de la terre, une espèce de la faune marine ou encore une substance de la pharmacopée, et dissimuler cette marchandise, c’est réduire tous les marchands à la pénurie. Voilà une méthode faite pour nuire au peuple. Si à l’avenir des fonctionnaires utilisent mon procédé, alors ils causeront un grand préjudice au pays[A31]

– Comment avez-vous su, demanda Pyŏn, qu’en venant me voir j’allais vous donner dix-mille nyang ?

–  Vous n’étiez pas le seul qui aurait pu me les donner, répondit Hŏ. N’importe qui avec dix-mille nyang l’aurait fait. Je me pensais moi-même capable d’amasser un million.

 

然命則在天,吾何能知之?故能用我者,有福者也。必富 益富,天所命也。安得不與?旣得萬金,憑其福而行,故 動輒有成。若吾私自與,則成敗亦未可知也。” 卞氏曰: “方今士大夫欲雪南漢之恥。 Or le destin est dicté par le Ciel[A32] et je ne pouvais avoir l’assurance de réussir. C’est la raison pour laquelle toute personne prête à m’écouter devait nécessairement jouir de sa bonne fortune[A33]

S’enrichir toujours davantage, c’est le Ciel qui en décide. Comment la somme que je demandais aurait-elle donc pu m’être refusée ? Après avoir obtenu les dix-mille nyang, j’ai profité de ma bonne fortune pour agir, et c’est ainsi que toutes mes entreprises ont été couronnées de succès. Mais si je m’y étais pris seul et avec mon propre pécule, l’issue aurait été beaucoup plus incertaine.

– Les lettrés-fonctionnaires[A34] cherchent ces temps-ci à laver l’affront de [la forteresse du] Mont Namhan, renchérit Pyŏn[A35]

 

此志士扼脆奮智之秋也。以子之才,何自苦沉冥以沒世耶 ?”許生曰:“古來沉冥者何限?趙聖期拙修齋可使敵國, 而老死布褐。柳馨遠磻溪居士足繼軍食,而逍遙海曲。今 之謀國政者,可知已。吾善賈者也。

Le moment est donc venu pour ces hommes aux nobles aspirations de pallier aux faiblesses du pays et de mettre leur intelligence au service du royaume. Pourquoi un homme de talent comme vous souhaite-t-il donc rester vainement dans l’ombre toute sa vie ? 

– Combien de personnes sont-elles restées dans l’ombre depuis l’Antiquité ? Cho Sŏnggi[A36] avait toutes les qualités pour être envoyé comme émissaire dans le pays ennemi [des Qing], mais c’est vêtu de vêtements grossiers qu’il mourut à un âge avancé. Quant à Yu Hyŏngwŏn[A37], il savait comment pourvoir à l’approvisionnement des armées, mais il vécut retiré au bord de la mer. Les personnes qui dirigent actuellement notre pays le savent pertinemment. De mon côté, j’ai quelque talent pour les affaires. 

 

其銀足以市九王之頭。然投之海中而來者,無所可用故耳 。” 卞氏喟然太息而去。卞氏本與李政丞浣善。李公時爲 御營大將。嘗與言 “委巷閭閻之中,亦有奇才可與共大事 者乎?”

Mon argent aurait suffi à acheter la tête du Neuvième prince[A38], mais je l’ai jeté dans la mer, ne sachant tout simplement pas où le dépenser.Pyŏn poussa alors un long soupir et se retira. Il était depuis longtemps proche du grand ministre Yi Wan[A39] qui était à l’époque commandant du Camp royal[A40]. Yi demanda un jour au premier :

« Entre les ruelles tortueuses[A41] et les quartiers populeux se cacherait-il un homme aux talents prodigieux et avec qui il serait possible d’entreprendre de grandes choses ? »

 

卞氏爲言許生。李公大驚曰:“奇哉 ! 眞有是否?其名云何 ?”卞氏曰:“小人與居三年,竟不識其名。” 李公曰:“此 異人,與君俱往。” 夜公屛騶徒,獨與卞氏俱步至許生。 卞氏止公立門外,獨先入,見許生具道李公所以來者。許 生若不聞者曰:“輒解君所佩壺。” 相與歡飮。卞氏閔公久 露立數言之,許生不應。旣夜深,許生曰:

Pyŏn lui parla alors de Hŏ. Le ministre lui dit tout étonné : « Voilà qui est extraordinaire ! Est-ce bien vrai ? Comment s’appelle-t-il ? »

– Votre humble serviteur[A42] le fréquente depuis trois ans, répondit  Pyŏn, mais il ne connaît toujours pas son nom personnel[A43]

– Cet homme extraordinaire,  je vais aller le rencontrer avec vous.

Le soir venu, le ministre laissa son escorte et se rendit à pied[A44] chez le lettré avec Pyŏn. Ce dernier le retint devant la porte et entra seul en premier afin d’expliquer les raisons de leur venue. Faisant mine de ne pas l’écouter, Hŏ lui dit :

« Ouvrez donc sans tarder cette bouteille que vous avez apportée ! »

Et les deux hommes de se mettre à boire gaiement. Inquiet malgré tout pour le ministre languissant à l’extérieur, Pyŏn rappela plusieurs fois sa présence, mais Hŏ resta impassible. À une heure avancée de la nuit, ce dernier lui dit enfin :

 

“可召客。” 李公入,許生安坐不起。李公無所措躬,乃叙 述國家所以求賢之意。許生揮手曰 : “夜短語長,聽之太遲 。汝今何官?” 曰:“大將。”許生曰:“然則汝乃國之信臣 。我當薦臥龍先生,汝能請于朝三顧草廬乎?”

« Faites donc entrer votre invité. » 

Le ministre entra tandis que le lettré restait tranquillement assis sans prendre la peine de se lever[A45].  Tout décontenancé qu’il était, le premier se mit à exposer pourquoi le gouvernement s’était mis en quête d’hommes de talent. Hŏ l’interrompit toutefois d’un signe de la main :

« La nuit est courte et ton histoire est longue. Il est trop tard pour t’écouter. Quelle charge assumes-tu[A46]actuellement au gouvernement ? »

–  Celle de commandant.

– Mais alors, tu es un ministre ayant la confiance du gouvernement[A47]. Si j’étais Maître Wolong[A48], irais-tu demander à la cour royale d’aller trois fois me rendre visite dans ma chaumière[A49]

 

公低頭良久曰:“難矣,願得其次。” 許生曰:“我未學第 二義。” 固問之,許生曰:“明將士以朝鮮有舊恩。其子孫 多脫身東來,流離惸鰥。汝能請于朝,出宗室女遍嫁之, 奪勳戚權貴家,以處之乎?”公低頭良久曰:“難矣。” 許 生曰:“此亦難彼亦難,何事可能? 有最易者,汝能之乎 ?”

Le ministre baissa la tête pendant un long moment avant de répondre :

« Voilà qui est difficile. J’aimerais entendre votre suggestion suivante. »

– C’est que je ne saurais poser un autre principe dérogeant au premier.

Devant l’insistance du ministre, Hŏ lui déclara :

« Les officiers et soldats des Ming ont autrefois témoigné de leur bienveillance envers le Chosǒn. Leurs descendants se sont enfuis dans notre pays où ils mènent une vie errante et solitaire[A50]. Pourriez-vous demander à la cour de leur donner des femmes du clan royal en mariage et de déposséder les membres méritants de la famille royale et autres hommes d’influence pour les loger ? »

Le ministre baissa la tête un long moment puis répondit :

« Voilà qui sera compliqué. »

– Si ceci est difficile et que cela l’est aussi, rétorqua Hŏ, qu’est-ce qui est donc de l’ordre du possible ?  Il y a bien une chose des plus faciles à réaliser, mais en seras-tu capable ?

 

李公曰:”願聞之。” 許生曰:“夫欲聲大義於天下而不先 交結天下之豪傑者,未之有也。欲伐人之國而不先用諜, 未有能成者也。今滿洲遽而主天下,自以不親於中國。而 朝鮮率先他國而服,彼所信也。誠能請遣子弟入學遊宦, 如唐元故事,商賈出入不禁,彼必喜其見親而許之。

– Je suis tout ouïe, répondit le ministre.– D’une manière générale, dit Hŏ, on n’a jamais vu quelqu’un faire entendre justice sans se lier avec les hommes les plus éminents de ce monde. De même, personne n’a jamais réussi à mener une expédition punitive contre un autre État sans y envoyer au préalable des espions[A51]. Aujourd’hui, les Mandchous ont subitement pris le contrôle du monde, mais ils ne sont pas encore parvenus à se rallier les Chinois. Ils nous font cependant confiance, car le Chosŏn a été le premier pays à se soumettre. Il faudrait donc leur proposer d’envoyer chez eux de jeunes gens de bonne famille pour y étudier et exercer une fonction publique, comme ce fut le cas autrefois à l’époque des Tang et des Yuan[A52], et d’autoriser nos marchands à entrer et sortir librement de leur territoire. Ils se réjouiraient alors de nous voir nous rapprocher d’eux et approuveraient nos requêtes.

妙選 國中之子弟,薙髮胡服,其君子往赴賓擧,其小人遠商江南,覘其虛實,結其豪傑 。天下可圖而國恥可雪。若求朱氏而不得, 率天下諸侯,薦 人於天,

On choisirait judicieusement des jeunes gens de notre royaume avant de leur raser la tête et leur faire prendre les habits des barbares[A53] : les hommes les plus accomplis[A54] seraient envoyés là-bas pour passer les examens destinés aux étrangers[A55] ; quant aux petites gens, ils iraient commercer au loin, jusque dans le Jiangnan[A56]. Chacun pourrait s’informer de la situation et se lier avec les hommes les plus éminents. Il serait alors possible de convoiter le monde et laver l’humiliation subie par notre royaume. S’il s’avérait impossible de retrouver un membre du clan des Zhu[A57], il faudrait mener les princes feudataires et recommander une personne au Ciel[A58].   

 

進可爲大國師,退不失伯舅之國矣。” 李公憮然曰:“士大 夫皆謹守禮法,誰肯薙髮胡服乎?” 許生大叱曰:“所謂士 大夫,是何等也? 產於彛貊之地,自稱曰士大夫,豈非騃 乎?衣袴純素,是有喪之服。會撮如錐,是南蠻之椎結也 。何謂禮法?

En cas de succès, nous pourrions devenir les maîtres du Grand pays[A59], et en cas d’échec, nous resterions malgré tout un royaume feudataire.

– Les lettrés-fonctionnaires observent tous scrupuleusement les rites et les lois, répondit le ministre tout désappointé. Qui oserait se raser la tête et prendre les habits des barbares ?

– Qu’est-ce donc qu’un « lettré-fonctionnaire », vociféra Hŏ ? N’est-ce pas ridicule de venir des régions des I et des Maek[A60] et se donner le nom de lettré-fonctionnaire ? Les vêtements simples et épurés sont ceux des personnes en deuil[A61], et rassembler ses cheveux comme pour former une grosse aiguille ne diffère en rien du chignon des barbares du Sud. Que sont donc les rites et les lois ? 

 

樊於期欲報私怨而不惜其頭。武靈王欲强其國而不恥胡服 。乃今欲爲大明復讎,而猶惜其一髮。乃今將馳馬擊釖刺 鎗弓+平弓飛石,而不變其廣袖。自以爲禮法乎?吾始三言, 汝無一可得而能者,自謂信臣。信臣固如是乎?是可斬也 。” 左右顧索釖欲刺之。公大驚而起,躍出後牖疾走歸。 明日復往,已空室而去矣。 Fan Yuqi[A62] n’hésita pas à céder sa tête pour assouvir une vengeance personnelle. Le roi Wuling de son côté n’eut pas honte d’adopter l’habit barbare pour renforcer son royaume[A63]. À présent, vous voulez obtenir vengeance pour ce qui est arrivé aux Ming sans toucher au moindre de vos cheveux. À présent, vous entendez monter à cheval, manier le sabre, jouer de la lance, tirer à l’arc et lancer des pierres sans même retoucher vos larges manches[A64]

Et vous croyez que c’est cela, les rites et les lois ? J’ai à peine évoqué trois choses, et vous qui vous présentez comme un ministre de confiance, vous n’êtes pas capable d’en réaliser une seule. Un ministre de confiance ne vaut-il donc pas plus que cela ? Voilà qui me donne envie de vous décapiter.

Hŏ chercha alors du regard un sabre en vue de le tuer. Le ministre effrayé s’enfuit d’un bond par la fenêtre de derrière et rentra chez lui en boitillant. Lorsqu’il revint le lendemain, Hŏ avait déjà vidé la maison et s’en était allé.

Notes

  1. ^ L’auteur omet le nom de la ville, mais les lecteurs du XVIIIe siècle avaient dû comprendre au premier coup d’œil le jeu de mots critique : Mukchŏk 墨積 (littéralement, l’« amas d’encre », donc inutile) est une déformation de Mukchŏng 墨井 (« le puits de l’encre »), un quartier excentré de Séoul où résidaient les plus pauvres lettrés de la capitale, près du célèbre mont Namsan 南山. Mukchŏng fait aujourd’hui partie de l’arrondissement central (Chung-gu 中區) de la capitale sud-coréenne. Notons que les quartiers (tong 洞) n’avaient pas d’existence administrative à l’époque du Chosŏn ; ils appartenaient à 46 « cercles » (pang 坊), eux-mêmes divisés en « associations » (kye 契). Mukchŏng dépendait du cercle de Hundo 勳陶 et de l’association d’Och’ŏn 梧泉. Certaines traductions de L’histoire du lettré Hŏ préfèrent parler du « village de Mukchŏk », autre acception du sinogramme tong en coréen.
  2. ^ Haengsu 杏樹 en coréen. Cet arbre est souvent présenté à tort comme un abricotier dans les traductions coréennes et anglaises de L’histoire du lettré Hŏ.
  3. ^ Rappelons que les sociétés pré-modernes du monde sinisé se résumaient traditionnellement aux fameux quatre statuts (lettré, paysan, artisan et marchand) mis en exergue par le discours confucéen. On sait toutefois qu’il existait d’autres conditions, périphériques ou intermédiaires, qui complexifièrent le tableau de la société coréenne du Chosǒn, comme nous le verrons plus bas. Les artisans et les marchands étaient particulièrement déconsidérés par l’élite lettrée en Corée.
  4. ^ En plein désespoir, l’épouse du lettré Hǒ invite son mari à sortir de la société hiérarchisée du XVIIIe siècle. Les brigands (tojŏk 盜賊) n’étaient évidemment pas reconnus comme une classe sociale, mais constituaient la cible de diverses lois répressives dans le code pénal en vigueur à l’époque du Chosǒn, le Code des Grands Ming (Ta Ming lü 大明律).
  5. ^ Située dans le centre de Séoul, au niveau de l’actuelle avenue Chongno 鍾路, cette grande rue commerciale, l’une des principales de la capitale, hébergeait les « six commerces réglementés » (yugŭijŏn六矣廛) qui exerçaient un monopole sur les tissus de laine, de coton, de soie, le papier, le lin et les produits marins. Ce monopole entravait le développement d’un commerce libre, sans toutefois empêcher un important commerce illicite. Aussi fut-il finalement abrogé en 1791, soit peu de temps après la rédaction de L’histoire du lettré Hŏ. L’étymologie d’Unjongga 雲從街 renvoie à une foule de passants se rassemblant (chong) comme des nuages (un).
  6. ^ Un des noms de Séoul à l’époque du Chosŏn.
  7. ^ Ce « Monsieur Pyŏn » apparaît dans les Discussions nocturnes à Yuxia (Okkap yahwa 玉匣夜話), texte qui précède et introduit L’histoire du lettré Hŏ (voir notre traduction sur le site du RESCOR). Plusieurs versions du texte nous sont cependant parvenues et « Monsieur Pyŏn » y figure sous deux identités. Il renvoie le plus souvent à Pyŏn Sŭngŏp 卞承業 (1623-1709), un interprète officiel ayant fait fortune en commerçant avec les Japonais et les autorités de Tsushima. Mais quelques exemplaires du texte présentent « Monsieur Pyŏn » comme le grand-père de Pyŏn Sŭngŏp, un certain Pyŏn Kyeyŏng 卞繼永 (1549-1589). Ce dernier fut un fonctionnaire militaire ayant vécu près d’un siècle avant l’époque où est censée se dérouler L’histoire du lettré Hŏ. Au-delà de cette incohérence, on sait surtout que ce sont les descendants de Pyŏn Kyeyŏng qui accumulèrent de grandes richesses en s’imposant comme l’une des principales lignées d’interprètes coréens et en commerçant ainsi avec la Chine et le Japon.
  8. ^ Il s’agissait d’une somme d’autant plus considérable que les pièces de monnaie métallique n’entrèrent que peu à peu dans l’usage ordinaire à partir de la fin du XVIIe siècle. Dans la première décennie du  siècle suivant, les taxes levées par le ministère du Cens ne rapportaient qu’environ 70 000 à 80 000 nyang par an à l’État. Ce montant grimpa ensuite à 150 000 au milieu du XVIIIe siècle, puis à 200 000 en moyenne à la fin de ce même siècle. Voir aussi la note 23, un peu plus bas.
  9. ^ Pin’gaek 賓客. Ce terme désigne aussi les invités, et il est possible que Pak Chiwŏn ait voulu l’utiliser dans ce sens.
  10. ^ Tout lettré portait un chapeau rond à calotte conique tronquée et à large bord en bambou refendu, soie et crin, et enduit de laque noire. Ce type de chapeau désigné en coréen par le terme kat 갓 (ou ip 笠 en sinogrammes) était représentatif de la classe supérieure des lettrés à l’époque du Chosŏn.
  11. ^ P’o  袍 dans le texte, et plus généralement top’o 道袍. Il s’agit d’un manteau ou pardessus que portaient les lettrés à cette époque.
  12. ^ Taein 大人, littéralement « grand homme », formule respectueuse à l’égard d’un grand personnage pour dire « vous ».
  13. ^ Ansŏng 安城 dépendit d’abord du Ch’ungch’ŏng au début de la dynastie Chosŏn avant d’être rattaché au Kyŏnggi en 1413. C’était un lieu de passage obligatoire entre Séoul et les provinces du Sud. La ville fut donc le lieu d’âpres combats contre l’envahisseur japonais à la fin du XVIe siècle. Aujourd’hui, Ansŏng est devenu un nœud autoroutier qui relie, comme à l’époque du Chosŏn, la capitale aux trois provinces méridionales : Ch’ungch’ŏng, Chŏlla et Kyŏngsang.
  14. ^ Yuja 柚子, une sorte de citron plus connu en France sous son nom japonais (yuzu).
  15. ^ Le sacrifice (ou culte) aux ancêtres suppose la préparation de mets variés et la disposition de fruits en grande quantité sur des tables où l’officiant appelle l’âme du défunt, à la date anniversaire de son décès.
  16. ^ Ch’ŏnsim 淺深, littéralement « la profondeur » du pays. Rappelons que la Corée entrait seulement à cette époque dans une économie monétaire (cf. note 8 ci-dessus).
  17. ^ P’o 布. Le caractère peut renvoyer aux étoffes en général, mais il désigne également, comme c’est le cas ici, le lin ou le chanvre.
  18. ^ L’île de Cheju était particulièrement réputée pour ses chevaux à l’époque du Chosŏn. La race locale, connue depuis l’Antiquité, fut mélangée à une autre, mongole, amenée sur l’île à l’époque des Yuan (1279-1368). Une monographie locale datée de 1653 – et donc contemporaine de l’époque du lettré Hŏ – présente les chevaux comme la première ressource animale de Cheju avec un nombre se montant alors à plus de dix mille dans les onze haras tenus par les autorités (T’amnaji 眈羅志, sections « T’osan 土產 » et « Mogyang  牧養»). Nombre de ces chevaux avaient été envoyés à Pékin dans les siècles précédents, comme éléments du tribut versé à la cour impériale.
  19. ^ En bons confucéens, les hommes ne se coupaient pas les cheveux à l’époque du Chosŏn, mais les relevaient sur le sommet de la tête pour former un chignon. Le crâne était ensuite enserré par un bandeau de crin de cheval (manggŏn 網巾), par-dessus lequel se plaçait une calotte de crin (t’anggŏn 宕巾). Le chapeau des lettrés, évoqué un peu plus haut, était également fabriqué, bien souvent, à partir de crin.
  20. ^ Shamen 沙門 est le nom d’une île au large de la côte chinoise du Shandong, connue pour avoir été un lieu de déportation sous les dynasties Song et Yuan (Xe - XIVe siècles). Il y a cependant fort à parier que Shamen renverrait plutôt à Macao (Aomen 澳門 en chinois) avec une erreur commise sur le premier caractère (sha/ao). Cette hypothèse est d’autant plus logique d’un point de vue géographique que l’axe commercial Macao-Nagasaki s’était développé à partir du XIVe siècle, notamment sous influence européenne. Plusieurs traducteurs de notre texte penchent également pour Macao, mais sans fournir la moindre explication.
  21. ^ Le texte évoque plus précisément le cerf du père David (mi 麋). L’animal est habituellement décrit comme ayant une tête de cerf, des pieds de bœuf, une queue de singe et un dos de chameau (d’où son nom de cerf qui « ne ressemble à aucune de ces quatre espèces » sabulsang 四不像). Il vivait à l’époque dans les plaines de Chine du nord-est et du centre ouest, et évoquait donc pour un lecteur coréen un cervidé peu commun.
  22. ^ Le li était une mesure itinéraire, variable selon les époques et les régions du monde sinisé, et valait environ 400 mètres dans la Corée du XVIIIe siècle.
  23. ^ Montagne (510 m) et localité de la province du Chŏlla, en bord de mer. Elle est aujourd’hui rattachée administrativement à la ville de Puan 扶安郡, dans le Chǒlla du Nord. Le célèbre Traité pour choisir son village (T’aengniji 擇里志, 1751) considère ce lieu comme très faste. Mais Pyŏnsan est aussi connue dans l’histoire de la dynastie du Chosŏn pour avoir été un repaire de bandits, de pirates et de chasseurs de tigres. Une partie des rebelles de l’année Musin (1728) – la plus importante révolte antidynastique du XVIIIe siècle – y fut d’ailleurs basée.
  24. ^ Rappelons que le nyang n’était pas exactement une monnaie, mais un moyen de paiement qui correspondait à une unité de poids (un nyang équivalant à une once). Les pièces, appelées sapèques, étaient rondes avec un trou carré qui permettait de les rassembler pour en faciliter le transport. Cent sapèques formaient une ligature (dite nyang), et dix ligatures, soit mille sapèques formaient un kwan 貫. Avec cent nyang, un brigand tenait donc dix-mille pièces dans ses mains !
  25. ^ Nagasaki n’appartenait pas à une « région » (ou une circonscription, chu 州), mais à un fief. C’était, au milieu du XVIIe siècle, un important port de commerce avec la Chine et la Compagnie des Indes orientales néerlandaises. Nagasaki était loin d’être une ville inconnue pour les élites coréennes de l’époque, mais ces dernières ne pouvaient en principe y avoir accès : les ambassades coréennes passaient bien loin de ce port et les marchands coréens n’étaient pas autorisés à s’y rendre. Seuls les marins coréens échoués sur les côtes japonaises y transitaient avant d’être rapatriés. Quant à la population de la ville, elle ne dépassait guère les 50 000 âmes à cette époque (on est donc bien loin des 310 000 foyers de notre auteur). On sait en outre que Nagasaki connut plusieurs famines à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Nous remercions Annick Horiuchi pour ces précisions sur la population de Nagasaki.
  26. ^ On retrouve ici quelques symboles de la fondation d’une nouvelle dynastie, qui font écho aux premières décennies du royaume du Chosŏn. Le roi Sejong (r. 1418- 1450) a en effet créé son alphabet en 1443 avec plusieurs objectifs, dont celui de légitimer le nouvel État fondé par son aïeul usurpateur. Les vêtements évoluaient également avec les dynasties en place. Les Coréens du Chosŏn avaient adopté la mode vestimentaire chinoise des Ming (1368-1644), mais avaient ensuite refusé de suivre celle, mandchoue, des Qing (1644-1911) qu’ils dénigraient volontiers.
  27. ^ Allusion à un passage du Livre des rites (Liji 禮記), chapitre Neize 內則 (Modèle des vertus domestiques) : « Dès que l’enfant commençait à pouvoir se nourrir par lui-même, on lui enseignait à se servir de la main droite » (子能食食,教以右手).
  28. ^ Principe très confucéen du respect des aînés qui fut (et est encore aujourd’hui) davantage exacerbé en Corée qu’en Chine.
  29. ^ Pi ŏ to 肥於道, littéralement « engraisser la Voie (confucéenne) ». On notera le jeu de mots avec sumyŏn  粹面, « se donner bonne mine » en se fardant le visage. Un passage du Mencius, l’un des quatre grands Classiques confucéens, rapporte à ce sujet que les vertus de l’homme de bien (cf. note 54) proviennent du cœur mais que leurs effets se manifestent sur le visage (Livre Jinxin, chapitre 1.21).
  30. ^ Il est bien entendu question d’un sacrifice ou culte aux ancêtres (chesa 祭祀) que l’on rend habituellement à la date anniversaire de la mort du défunt.
  31. ^ Pak Chiwǒn enfonce encore une fois le clou de sa critique contre l’économie sclérosée de son pays par les monopoles commerciaux de certains marchands. Notre auteur a eu l’occasion de se rendre en 1780 dans l’empire des Qing et d’être impressionné par les pratiques commerciales chinoises.
  32. ^ Allusion à un proverbe sino-coréen (inmyŏng chaech’ŏn人命在天 dans sa forme coréenne) qui signifie « s’en remettre au destin » ou plus littéralement « remettre son destin au Ciel ».
  33. ^ Pok 福, à ne pas confondre avec la simple fortune matérielle. Ce terme désigne aussi bien le bonheur que la bonne fortune et la prospérité qui trouvent toutes leur origine dans les faveurs célestes.
  34. ^ Sadaebu 士大夫. Ce terme importé de la Chine des Song (960-1279) désigna tout d’abord les hauts fonctionnaires à l’époque du Koryŏ. Si ce sens fut conservé en Chine jusqu’aux Qing, il évolua cependant au début du Chosǒn pour désigner tous les fonctionnaires en poste ou précédemment titulaire d’une charge, et plus généralement la classe des lettrés, d’où notre traduction de « lettré-fonctionnaire ».
  35. ^ Allusion à ce qu’on appelait dès cette époque (et encore aujourd’hui) les « désordres barbares de l’année pyŏngja (1636) » (pyŏngja horan 丙子胡亂), une invasion éclair des Mandchous qui venaient de prendre le nom dynastique de Qing. Ces derniers forcèrent le roi Injo 仁祖 (r. 1623-1649), retiré dans la forteresse du mont Namhan 南漢山城, au sud-est de Séoul, à se prosterner devant leur souverain « barbare ». Cette humiliation suprême resta ancrée dans les esprits coréens jusqu’à la fin de la dynastie Chosŏn.
  36. ^ Cho Sŏnggi 趙聖期 (1638-1689), nom de plume Cholsujae 拙修齋, était un jeune lettré brillant qui passa avec succès le concours de la licence. Une maladie chronique l’empêcha toutefois d’entrer dans la fonction publique. Il se retira du monde et se consacra à l’étude pendant une trentaine d’années. Il est surtout connu pour ses œuvres littéraires de fiction.
  37. ^ Yu Hyŏngwŏn 柳馨遠 (1622-1673), nom de plume Pan’gye kŏsa 磻溪居士, tenta par deux fois de passer les concours mandarinaux, mais abandonna très vite l’idée d’une carrière officielle. Il se retira à Puan – un district côtier du Chŏlla déjà évoqué avec les brigands de Pyǒnsan – et consacra le reste de sa vie à l’étude. Probablement rédigées entre 1652 et 1670, ses célèbres Notes de Pan’gye (Pan’gye surok 磻溪隨錄) proposent une réforme complète des institutions et notamment une réorganisation en profondeur des armées et de leur logistique. Les historiens coréens du XXe siècle en ont fait l’un des pionniers du mouvement des « études pratiques » (sirhak 實學).
  38. ^ Il s’agit de Dorgon 多爾袞 (1612-1650), le quatorzième fils de Nurhaci (1559- 1626, unificateur des tribus mandchoues), qui en vint à être connu sous le nom de Neuvième prince (chi. Jiuwang 九王). Il joua un rôle de premier ordre lors de l’invasion de 1636-1637, prenant l’île de Kanghwa où s’était réfugié le prince héritier Pongnim 鳳林君 (le futur roi Hyojong 孝宗), et contraignant ainsi le roi Injo à sortir de la forteresse du mont Namhan. Il épousa par la suite une princesse coréenne pour sceller l’entrée du Chosŏn dans le système tributaire mandchou, et devint prince-régent de l’empereur Shunzhi 順治 entre 1643 et 1650.
  39. ^ Yi Wan 李浣 (1602-1674) participa au coup d’État du roi Injo en 1623 puis défendit son pays contre les Qing en 1636. Il enchaîna ensuite divers postes de fonctionnaires militaires dans les provinces avant d’exercer plusieurs charges de ministre et d’être élevé, un mois avant sa mort, au poste de premier président du Grand conseil (yŏngŭijŏng 領議政), la plus haute instance du gouvernement. Nous traduisons ici par « grand ministre » le terme chŏngsŭng 政丞 qui désigne les trois présidents du Grand conseil.
  40. ^ Ŏyŏngch’ŏng 御營廳. Cette institution destinée à protéger le roi fut établie en 1653 et dissoute en 1894 après avoir été plusieurs fois réorganisée. Son commandant (taejang 大將) avait le rang 2b, ce qui le plaçait parmi les hauts fonctionnaires du royaume. Yi Wan occupa cette charge en 1649, ce qui suggère une incohérence dans le récit : Hŏ ne pouvait en effet connaître à ce moment les dates de décès de Cho Sŏnggi (1689) et Yu Hyŏngwŏn (1673).
  41. ^ La seconde moitié de la dynastie Chosŏn vit l’apparition d’une nouvelle classe sociale, composée des titulaires de postes administratifs réclamant compétence particulière (droit, astronomie, médecine, langues étrangères, etc.) qui se transmettaient généralement de père en fils dans la capitale. Ils furent progressivement relégués au bas de l’échelle de la fonction publique et intégrés dans la catégorie des « gens du milieu » (chungin 中人), située entre le peuple et les yangban. Ils jouèrent un rôle considérable dans l’avènement de la Corée moderne, mais ceux qui les regardaient de plus haut les qualifiaient par dérision de gens des « ruelles tortueuses » (wihang 委巷), ce qui était les englober dans un vaste ensemble qui incluait le petit peuple. Les fonctionnaires, eux, ne circulaient jamais que dans les grandes artères des villes.
  42. ^ Soin 小人, littéralement « homme de peu ».
  43. ^ À l’instar des Chinois, les Coréens de l’élite possédaient plusieurs noms, à commencer par un nom personnel (myŏng 名) à usage officiel, mais dont l’emploi était évité par autrui. Ils avaient également un ou plusieurs noms de plume (ho 號) dont nous verrons quelques exemples plus bas.
  44. ^ Les fonctionnaires se déplaçaient habituellement en palanquin et sous bonne escorte dans le cadre de leurs fonctions officielles.
  45. ^ On notera que Hŏ transgresse sans complexe les codes moraux de la société très hiérarchisée du Chosŏn. Tout sujet du royaume était censé se lever puis se prosterner devant un représentant de l’autorité, c’est-à-dire lui faire preuve de tout le respect dû à son rang, de surcroît s’il s’agissait d’un haut fonctionnaire proche du souverain.
  46. ^  汝. Ce sinogramme peut aussi être traduit par « vous », mais il laisse ici entendre que Hŏ se place au-dessus du ministre. Nous rendons donc cette nuance avec « tu », tout en sachant que le coréen possède plusieurs niveaux de politesse que le chinois classique est lui-même incapable de reproduire avec exactitude.
  47. ^ Littéralement « ministre de confiance » (sinsin 信臣). Les textes confucéens recommandaient, depuis la période pré-impériale en Chine, que les souverains prennent toujours appui sur de tels fonctionnaires pour administrer leur État.
  48. ^ « Maître Wolong » (littéralement « dragon couché », 臥龍先生) est le nom de plume du célèbre homme d’État et stratège Zhuge Liang 諸葛亮 (181-234), l’une des grandes figures de la période des Trois royaumes (Sanguo 三國, 220-280).
  49. ^ Allusion à un épisode fameux qui se déroula en l’an 207 de notre ère. Liu Bei劉備 (162-223) se rendit trois fois à la chaumière de Zhuge Liang pour solliciter ses services afin de conquérir l’Empire. L’expression « Aller trois fois visiter quelqu’un dans sa chaumière » en est venue à désigner le fait de prier avec instance un homme de talent de fournir son concours.
  50. ^ L’empereur Wanli (r. 1572-1620) apporta un soutien militaire décisif à la Corée pour repousser les invasions japonaises de la péninsule entre 1592 et 1598. Mais, quelques décennies plus tard, la chute des Ming et l’arrivée au pouvoir des Qing en 1644 occasionnèrent la fuite de nombreux loyalistes vers les pays voisins, c’est-à-dire la Corée, le Japon et le Viêt-Nam.
  51. ^ Allusion à peine masquée aux vains et futiles projets d’expéditions punitives (pukpŏl 北伐) que la cour du Chosǒn imagina contre les Mandchous, au milieu du XVIIe siècle, pour rétablir la dynastie des Ming.
  52. ^ Le Silla envoya des Coréens chez les Tang (618-907), et le Koryŏ fit de même avec les Yuan. Certains de ces Coréens obtinrent effectivement un poste en Chine et leur nom est resté dans l’histoire. Le plus célèbre d’entre eux est sans nul doute Ch’oe Ch’iwŏn 崔致遠 (857- env. 910).
  53. ^ Allusion à la physionomie mandchoue : les Qing avaient imposé dès 1645 à tous les Chinois de se raser le devant du crâne et de porter une natte sous peine d’exécution immédiate. Ils avaient également apporté avec eux de nouveaux codes vestimentaires qui différaient de ceux des Ming.
  54. ^ Littéralement « hommes de bien » (kunja, chi. junzi 君子). Il s’agit de l’idéal à atteindre pour tout homme épris des valeurs morales confucéennes. L’homme de bien valorise le sens du juste et cherche à atteindre la vertu parfaite, à la différence de l’« homme de peu » (soin, chi. xiaoren 小人) porté sur l’intérêt et le profit.
  55. ^ L’empire des Tang établit au IXe siècle un système d’examens pour les étrangers (bin’gongke, cor. pin’gonggwa 賓貢科), poursuivi sous les Song (960-1279), et enfin sous les Yuan avec le nom de zhike, (cor. chegwa 制科). Il fut finalement abandonné au début des Ming.
  56. ^ Le Jiangnan 江南 ou région du Bas-Yangzi était le cœur économique et commercial de la Chine à l’époque des Ming et des Qing, lorsque Pak Chiwŏn écrivit sa nouvelle.
  57. ^ Zhu 朱 était le nom de la famille impériale des Ming.
  58. ^ C’est-à-dire mettre une personne sur le trône. On parle de « mandat céleste » (tianming, cor. ch’ŏnmyŏng  天命) par lequel les empereurs chinois – et les rois coréens – tenaient le droit de gouverner. Le souverain était considéré en Chine comme le fils du Ciel, et devait régner de manière irréprochable. Les fondateurs dynastiques insistaient donc toujours, par le biais de leurs historiographes, sur la vie dissolue ou tyrannique des derniers souverains de la dynastie précédente : le Ciel leur avait retiré son mandat et décidé d’ouvrir une nouvelle ère.
  59. ^ Taeguk 大國, c’est-à-dire la Chine.
  60. ^ Pak Chiwŏn désigne ici les « barbares » (i 夷) mais utilise à dessein un sinogramme plus complexe (i 彛), visiblement pour faire étalage de son érudition. Ajoutons que la Corée ancienne connut des tribus Ye 濊 et Maek 貊 qui se fédérèrent dans la région du Liaodong 遼東, le long du fleuve Yalu, au IVe siècle avant notre ère. Sans doute notre auteur y fait-il référence ici.
  61. ^ Les personnes en deuil portaient des vêtements en chanvre écru. Le blanc était en effet la couleur du deuil, mais c’était aussi celle des habits de tous les jours pour les gens du commun à l’époque du Chosŏn. C’est que les vêtements devaient rester sobres dans cette société profondément marquée par une éthique confucéenne ne favorisant ni le luxe ni la fantaisie. Le peuple du Chosǒn est d’ailleurs souvent défini dans l’imaginaire coréen moderne comme « le peuple aux vêtements blancs » (paegŭi minjok 白衣民族).
  62. ^ Depuis la fin du Koryŏ, les « barbares du Sud » (namman 南蠻) désignaient dans les sources coréennes les habitants des Ryūkyū et de certains pays d’Asie du Sud-Est comme le Siam.
  63. ^ Selon la tradition, c’est en 302 avant notre ère que le roi Wuling 武陵 (r. 314-295) du royaume de Zhao 趙 fit adopter à ses armées un « habit barbare » (hufu 胡服) facilitant une plus grande mobilité de mouvements et permettant de tirer à l’arc tout en chevauchant. On lui attribue également le fait de combattre à cheval et non plus sur des chars, à l’instar des populations barbares du nord. Voir le Shiji (chapitre Zhaoshijia 趙世家).
  64. ^ Les lettrés et les fonctionnaires civils de la fin du Chosŏn portaient des vestes avec des manches très amples et donc inadaptées aux tâches militaires.
   

Autour du texte:

Pak Chiwŏn, de son nom de plume Yŏnam 燕巖 « le rocher des hirondelles », fut un lettré doté d’immenses talents, mais c’est tardivement qu’il entra dans la fonction publique où il n’eut qu’une carrière relativement modeste. Resté dans la mémoire collective comme un des grands penseurs du XVIIIe siècle coréen, les historiens du XXe siècle n’ont pas manqué d’en faire l’une des figures de proue du mouvement des « études pratiques » (sirhak 實學) de même que de l’école des « savoirs du Nord » (Pukhak 北學).

 

Ce yangban 兩班 issu du clan des Pak de Pannam 潘南 naquit et grandit non loin de Séoul. À l’instar de son père, il semble n’avoir guère manifesté d’enthousiasme vis-à-vis des concours d’entrée de la fonction publique, malgré des dispositions précoces. Au lendemain de son mariage en 1752, il passa le plus clair de son temps avec son beau-père, Yi Poch’ŏn 李輔天, et l’oncle de son épouse, Yi Yangch’ŏn 李亮天, à approfondir les textes fondamentaux de la tradition chinoise. Et c’est à cette époque qu’il entama la rédaction de nouvelles dont certaines encore très fameuses. Les années suivantes furent assombries par la perte de sa mère, en 1759, puis par celle de son père en 1767.

 

Reçu premier (changwŏn 壯元) à la première étape du concours de la Licence (kamsi 監試) en 1770, il se présenta à la seconde (hoesi會試), mais refusa inexplicablement de rendre sa copie. Cet incident marqua un tournant dans sa vie, puisqu’il se retira du monde pendant l’essentiel des quinze années suivantes, en se fermant ainsi les portes de la fonction publique. Il vécut notamment près de Kaesŏng 開城, au lieu-dit Yŏnam dont il fit son nom de plume. C’est aussi à cette période qu’il se lia d’amitié avec différents lettrés appelés à devenir les pierres angulaires de l’école des savoirs du Nord : Hong Taeyong, Pak Chega, Yi Sŏgu et Yi Tŏngmu, pour n’en citer que certains.

En 1780, Pak Chiwŏn eut l’opportunité de de se joindre à une ambassade assez exceptionnelle, accompagnant en Chine son proche parent Pak Myŏngwŏn. L’empereur Qianlong (r. 1736-1795) avait en effet convié les représentants de tous les pays tributaires aux célébrations de son 70e anniversaire. Aussi Pak Chiwŏn visita-t-il non seulement Pékin mais également Jehol 熱河 – l’actuelle Chengde 承德 – qui abritait la résidence d’été des empereurs, dans le nord-est de la capitale chinoise. De ce séjour, il laissa d’ailleurs un Journal de voyage à Jehol (Yŏrha ilgi 熱河日記) rapidement élevé au rang de modèle du genre, au point de faire l’objet d’une publication et de connaître une large diffusion.

 

C’est en 1786, à presque cinquante ans, que débuta la dernière phase de l’existence de Pak Chiwŏn. Toujours en butte à des difficultés financières, sur recommandation d’un ami, il entama une modeste carrière au sein de la fonction publique. Il obtint tout d’abord une charge de surveillant au Bureau des Travaux et Réparations (Sŏn’gonggam kamyŏkkwan 繕工監監役官, pour tout ce qui avait trait aux bâtiments de l’État et à ceux des cérémonies (rang 9b). Il enchaîna ensuite plusieurs autres postes, avant d’embrasser la fonction de magistrat de district, d’abord à Anŭi 安義 (province du Kyŏngsang) en 1791, puis à Myŏnch’ŏn 沔川 (province du Ch’ungch’ŏng) en 1797, et enfin  celle de préfet de Yangyang 襄陽 (Kyŏngsang) en 1800. Malade, il se retira l’année suivante à Séoul pour y finir ses jours.

Au nombre de ses descendants se trouve notamment son petit-fils, Pak Kyusu 朴珪壽 (1807-1877) qui, pour sa part, se distingua par une brillante carrière dans la fonction publique – il fut ministre à plusieurs reprises – tout en étant l’un des principaux artisans de l’« ouverture » de son pays, dans la continuité de son grand-père.

 

Pak Chiwŏn est particulièrement renommé pour son Journal de voyage à Jehol, déjà mentionné, et tout un ensemble de nouvelles à caractère satirique qui dépeignent la société coréenne de son temps. Constamment réédités, ses écrits ont donné lieu à de multiples transpositions en coréen moderne, et même, quoique partiellement, en anglais et en japonais. Cette traduction est néanmoins la toute première en langue française.

 

Notre auteur, souvent très critique à l’égard du modèle économique coréen, par trop replié sur lui-même, voire sclérosé par les monopoles d’État, prônait une plus grande ouverture – ou du moins un plus grand libéralisme – imitant en cela la Chine dont il avait pu apprécier la prospérité de ses propres yeux. C’est pourquoi il exhorta constamment ses compatriotes à emprunter à cette Chine acquise aux « barbares » mandchous plutôt que de se cantonner à la dénigrer. Pak Chiwŏn déplorait en outre la détérioration des relations d’amitié et de solidarité au sein de la classe des yangban, et couchait par écrit l’éloge des petites gens. À ce titre, on peut dire qu’il introduisit au cœur de la littérature coréenne en chinois classique des conversations dites de places publiques. D’ailleurs, son nom ne tarda pas à rejoindre la liste des auteurs et ouvrages précisément visés par une inquisition littéraire du début des années 1790, après les publications chrétiennes, celles de lettrés chinois tels que Wang Yangming 王陽明 (1472-1529), les fictions populaires ou les œuvres en prose des Ming et des Qing.

 

L’Histoire du lettré Hŏ qui va suivre apparaît avec une autre nouvelle dans le Journal de voyage à Jehol. C’est l’un des textes les plus illustres de Pak Chiwŏn. On ne s’étonnera donc pas qu’il fasse l’objet d’un enseignement régulier, encore aujourd’hui, dans les collèges et lycées de Corée du Sud. Le protagoniste est un lettré sans le sou. Jusque-là plongé dans ses livres, il décide un beau matin de se lancer dans le commerce. Et cela lui réussit tant et si bien qu’il amasse une immense fortune. Mais, finalement, il se résout à la jeter à la mer, avant de se retirer hors du monde. Ce récit met en scène une utopie insulaire qui n’est pas sans rappeler les aventures de Hong Kiltong 洪吉童, décrites par Hŏ Kyun 許筠 dans un célèbre au début du XVIIe siècle. Mais laissons à présent le génial Pak Chiwŏn nous conter lui-même son histoire.

 

Cette traduction a été réalisée dans le cadre du cours de

« Perfectionnement en chinois classique » à l’université Paris Diderot (M2, année 2017-2018)

avec les étudiants suivants :

 

Anne-Lise Allègre

Jaouad Almaoui

Victoria Augustin

Clara Belloc

Marie Calio

Jamaa Gangojch

Anaïs Ouikede

 

La traduction a été revue et annotée par Pierre-Emmanuel Roux.

Note relative au texte source

 

L’édition que nous avons utilisée est la suivante :

 

Yŏnam chip 燕巖集 (Œuvres de Yŏnam), par Pak Chiwŏn 朴趾源, Keijō, [s.n], 1932, 17 kwŏn. [Bibliothèque Nationale de Corée].

 

C’est cette édition qui est utilisée sur le site de l’Institut de traduction des classiques coréens (http://db.itkc.or.kr/)

 

 

 

(fichier mis à jour le 21 juin 2020)

Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS