Compte rendu

SON Youna, « Habiter la montagne en Corée du Sud : le cas du Mont Gyeryong »

Après une année préparatoire au doctorat qui m’a permis d’élaborer un état de l’art de début de thèse et un calendrier de recherche, un premier terrain s’est imposé pour collecter des données sur place, consulter des archives et conduire des entretiens. Désormais inscrite en première année de Doctorat sous la direction de Madame Valérie Gelézeau, dans la formation doctorale « Territoires, sociétés, développement », j’ai pu effectuer un premier terrain de deux mois, de septembre à octobre 2019 grâce au financement accordé par le RESCOR. Mon sujet de thèse, en géographie culturelle, qui s’intitule « Habiter la montagne en Corée du Sud : le cas du Mont Gyeryong » m’a conduite dans la province de Chungnam, dans les villes de Daejeon, Gongju, et Gyeryong, et dans les villages de Hakbong et de Sangsin au pied du Mont Gyeryong, une montagne sacrée (명산), haut-lieu du chamanisme coréen, qui a acquis le statut de parc national en 1968 et dont la proximité des villes en a fait un espace de loisirs aménagé pour les citadins qui s’est transformé au fil des années.

©Y. Son. Carte de situation du Mont Gyeryong.

L’un des concepts centraux de mon sujet est « l’habiter », qui ne s’entend pas dans son sens étroit de « résider » (en coréen 거주하다 kôjuhada) mais dans son sens large, comme organisation de l’espace et représentations des acteurs. En allant sur le terrain, c’est la montagne habitée que je voulais rencontrer, une montagne modifiée techniquement par des acteurs sociaux, une montagne perçue et vécue au quotidien. Ce qui m’intéressait était, entre autres, les différents récits sur le mont.

Pour commencer, je m’étais fixé deux lieux pour circonscrire mon terrain d’enquête : le village de Hakbong, à l’Est du Mont Gyeyrong, vers l’entrée du parc national du côté du temple de Donghaksa et le village de Sangsin au Nord du Mont Gyeryong, qui abrite en son sein un village de potiers. Dans un premier temps, j’ai choisi de résider à la frontière nord-ouest de la ville de Daejeon à mi-chemin entre des contacts et des lieux ressources de Daejeon (comme la bibliothèque de l’université de Chungnam et les archives nationales de la ville de Deajeon où j’ai effectué des recherches documentaires) et le Mont Gyeryong.

©Y.Son, 17/09/2019, Le village de Hakbong et la ville de Daejeon au loin

Mon terrain m’a permis, en arpentant les lieux et prenant des repères spatiaux (ce qui passait par le tapsa 답사 : la prise de photo et de notes en marchant), d’approcher concrètement la réalité des transformations économiques et d’aménagement du territoire liée à la fréquentation du Parc National. Ainsi, le village de Hakbong (학봉리) qui s’étend tout du long de la route menant à l’entrée du parc national du Mont Gyeryong du côté du temple Donghaksa (동학사) compte de nombreux commerces, restaurants et cafés qui bordent la route principale. A côté des temples, du muséum d’histoire naturelle du Mont Gyeryong, s’y trouvent aussi des auberges (« pension » 펜션) et les très controversés motels (« love hotels » et muintel 무인텔, litt. « des hôtels sans personnel »).

Une autre partie de mon terrain a été de rentrer en relation et de tisser des liens avec les habitants avec lesquels j’ai pu faire des entretiens approfondis sur leurs usages quotidiens, professionnels ou récréatifs, des lieux et sur leur perception de la montagne. Parmi mes enquêtés figuraient les guides et rangers du parc national qui m’ont partagé leurs connaissances de la montagne et fait part de leurs expériences professionnelles. J’ai également pris contact avec une association de randonneurs qui souhaitait créer des chemins de marche et de découverte du patrimoine naturel et culturel tout autour du Mont Gyeryong. Par ailleurs, j’ai eu la chance de passer deux semaines dans le village de Sangsin au Nord du Mont Gyeryong (계룡산 도예촌, 계룡산 도 예마을) où un regroupement d’artistes potiers s’est installé dans les années 90, et où, logée dans un atelier de potier (공방), j’ai fait de l’observation participante au quotidien.

©Y. Son, 24/09/2019, Au village de potiers du Mont Gyeryong

Par ailleurs, mon séjour a été ponctué de visites aux archives nationales de Daejeon et de Seongnam pour y faire des recherches documentaires spécifiques à l’aménagement du parc national du Mont Gyeryong et aux mobilisations d’associations environnementales et d’habitants que certains projets ont suscités.

J’ai pu récolter de nombreuses données sur place : en plus d’une quinzaine d’entretiens enregistrés, de mes notes et photos de terrain, j’ai également collecté, entre autres, divers documents tels des plans, cartes et photos des aménagements successifs du parc national, une pétition d’habitants contre des projets de construction, et des guides et livrets touristiques à l’initiative d’associations visant à présenter le patrimoine naturel et culturel de la montagne.

J’ai été très bien accueillie et guidée. Et le tourbillon de rencontres, parfois fortuites mais toujours bienvenues, qui s’est offert à moi m’a donné un terrain riche en pistes potentielles à explorer. Il me reste désormais à hiérarchiser, analyser et interpréter mes données de terrain, une base qui me servira de tremplin à la poursuite de ma recherche avant mon prochain séjour programmé à l’été 2020. Par ailleurs, mes difficultés de terrain ont été principalement dû à mon statut de jeune femme seule. J’ai dû faire face, lors de rencontres, visites ou entretiens, à des situations d’enquêtes gênantes que je n’avais pas anticipées et qui m’ont fait réfléchir à ma place de chercheuse sur le terrain.

Au final j’ai pu, grâce à ce premier séjour, prendre contact concrètement avec l’espace du Mont Gyeryong, rencontrer des acteurs de la vie locale, réaliser des entretiens, tisser des liens, commencer à voir se dessiner les rapports des uns et des autres au Mont Gyeryong – un lieu qui m’a été présenté comme un site patrimonial, d’histoire et de nature à protéger et à transmettre, mais dont le développement économique et touristique a entraîné des aménagements et un urbanisme qui ne semblent pas toujours en accord avec la représentation que les habitants ont de la montagne. En bref, ce premier terrain m’a permis de mettre des éléments concrets derrière ma question de démarrage : comment est habité aujourd’hui le Mont Gyeryong.

SON Youna
Doctorante CRC-EHESS
Boursière RESCOR 2019

Pages

Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS