Conférences

Conférence : Les fruits cachés d’une mission déserte, 13 mai 2015

Intervention de Pierre-Emmanuel Roux (Ruhr-Universität Bochum), dans le cadre du groupe de recherche Circulation interactive des savoirs.

 

L’histoire missionnaire regorge de conflits de juridictions, et l’Église catholique de Chine n’y fait pas exception. Nous nous proposons ici d’examiner l’une de ces querelles et d’en tirer quelques enseignements sur les stratégies missionnaires, les méthodes d’apostolat et les relations entre missionnaires et convertis.

L’évêché de Pékin rassemblait jusqu’au début du XIXe siècle l’ensemble de la Chine du Nord et les territoires attenants tels que la Mongolie et la Corée. Son démembrement par le Vatican déboucha sur l’érection de plusieurs vicariats apostoliques au cours des années 1830. La Société des Missions étrangères de Paris (MEP) insista pour se voir confier en 1838 le vicariat de Mandchourie (ou Liaodong 遼 東), un vaste espace couvrant toute la partie extra murum de l’ancien évêché, à savoir cette même Mandchourie et la Mongolie. Dépossédés de leur territoire de mission, les Lazaristes ne tardèrent pas à faire appel à la Propagande. Deux ans plus tard, en 1840, Rome séparait la Mongolie du Liaodong pour l’ériger en vicariat distinct et la donner aux Lazaristes.

La question de la frontière entre les deux vicariats perdura cependant une dizaine d’années. Les deux congrégations parvinrent à un premier accord, entériné par un décret de la Propagande en 1845, qui fixait la frontière des deux juridictions au méridien de Pékin. Toutefois, les Lazaristes se retrouvèrent vite insatisfaits, réclamant le reste de la province civile de Mongolie, où se trouvaient l’essentiel des chrétientés du vicariat de Mandchourie. Il fallut attendre un nouveau décret papal en 1851 pour trancher définitivement la question. Rome acquiesçait aux demandes lazaristes, à l’exception d’une seule et unique chrétienté sur les confins de la Mongolie orientale, qui se trouvait accordée au vicariat de Mandchourie.

On est en droit de se demander quelles raisons poussèrent MEP et Lazaristes à se déchirer pour une vaste « mission déserte » qui ne comptait guère plus de 2000 convertis vers 1840. Côté lazariste, l’arrivée au pouvoir de l’empereur Jiaqing (1796-1820) avait sonné le glas des missions à Pékin. Aussi le village de Xiwanzi 西 灣子, situé en Mongolie, avait-il été finalement érigé en nouveau centre de leurs activités missionnaires à partir de 1829. Les motivations des MEP sont encore plus étonnantes, et elles trouvent leur fondement hors des frontières chinoises. Elles découlent en fait d’un curieux projet, longtemps nourri par les jésuites puis par les MEP eux-mêmes, de relancer l’évangélisation clandestine du Japon à partir de la Chine du Nord et de la Corée. Cela étant, un tel dessein n’est pas seulement révélateur d’une forme de « géopolitique de l’évangélisation ». Il rappelle également combien les missionnaires étaient dépendants des convertis locaux et de leurs propres réseaux de relations pour mener la moindre entreprise d’évangélisation. L’exemple étudié ici invite en outre à se demander comment de tels réseaux tendirent à prendre une dimension transnationale en vue de mieux relier la Chine, la Corée et le Japon.

Date

  • Mercredi 13 mai 2015, de 11h à 13h

Lieu

  • EHESS, salle Elisabeth Allès 681, 190-198 avenue de France – 75013 Paris

 

Source : Carnets du Centre Chine

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Academy of Korean studies Inalco Université Paris Diderot-Paris 7 EHESS